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position matérielle ; il a voulu dévoiler à tous les yeux les détresses de son foyer, se représentant comme un manœuvre condamné à un travail ingrat, accusant un peu tout le monde de lui marchander L’air et la vie. La souscription n’a fait que répondre à ces aveux, devenus chaque jour plus pressans, et certes devant une telle situation on ne voudrait point retenir une main prête à déposer son offrande. Que la souscription suive simplement son cours, qu’elle produise le plus possible, rien de mieux, il faut le désirer ; il faudrait cependant éviter des glorifications inutiles. — Le malheur, le vrai malheur de M. de Lamartine, c’est d’avoir des amis dangereux qui changeraient volontiers pour lui l’ordre moral. Ce n’est point le moment de discuter ce qu’on appelle les services de l’auteur des Girondins ; c’est une histoire trop récente, trop contemporaine encore pour qu’on puisse la juger et surtout l’illustrer par des monumens. Ces services d’ailleurs, fussent-ils aussi éclatans qu’on l’affirme, il est des confusions qu’on ne peut admettre sans se faire une trop singulière idée du rôle des hommes publics et de toutes les grandeurs morales. Il est heureusement des choses qui ont échappé jusqu’ici à tous les tarifs, et c’est une étrange manière de servir M. de Lamartine que de le transformer en héros civil venant présenter la facture de son héroïsme et de son éloquence. Ne voit-on pas qu’il y aurait quelque chose d’aussi choquant que l’ingratitude publique ? Ce serait l’insistance à parler sans cesse de ce qu’on nomme des bienfaits, en assignant un prix matériel à toutes les actions humaines. Les peuples sont quelquefois oublieux et ingrats, cela est possible ; ils ne le sont pas toujours cependant autant qu’on le pense. Si les sentimens qu’a longtemps inspirés M. de Lamartine, si ces sentimens se sont refroidis, qui donc a mis un zèle cruel à dissiper toutes les illusions ? Puis, en fin de compte, l’auteur des Girondins n’a-t-il pas mis la main à ces révolutions qu’il devait décorer de son éloquence et de son héroïsme ? Le monde est tiède pour M. de Lamartine, dit-on ; par malheur, le monde est tiède pour bien d’autres choses qui sont supérieures à tous les hommes, que l’illustre poète n’a pas sauvées, qu’il a peut-être compromises au contraire en se compromettant lui-même avec elles.

CH. DE MAZADE.


ESSAIS ET NOTICES.
LES ROMANS NOUVEAUX.


Il semble que la pure création intellectuelle prenne de plus en plus le roman pour unique refuge. Tout le monde essaie d’y accommoder son imagination. Autrefois on se réservait pour un début poétique, aujourd’hui c’est le cadre du récit que recherchent les vocations naissantes ; mais si les jeunes écrivains trouvent dans le roman aussi bien que dans la poésie ample matière à de nombreuses réminiscences, leur inexpérience, plus visible ici, ne peut plus être rachetée par un sentiment lyrique, qui, naturel à de certaines organisations, avait pour se produire moins besoin d’être cultivé, et quel-