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sans se livrer à toutes les diversions contemporaines, il a écrit peu à peu Marie et les Bretons, Primel et Nola, les Histoires poétiques. C’est peu si on compte les vers ; cela suffit pour qui recherche la pureté du sentiment, la finesse exquise de la forme, l’originalité de la couleur. Brizeux n’était point en effet un de ces esprits amis de l’éclat et du bruit, faits pour la popularité ; il avait un idéal mystérieux, et il le suivait. Il s’était fait le poète de la Bretagne, la terre de granit recouverte de chênes, et, de bonne heure enfermé dans sa contrée natale, il s’est mis à chanter la vieille Armorique, sa foi, ses paysages, ses coutumes, le presbytère et la vie du pêcheur, les solitudes des grèves, la mer et les îles sauvages. Même quand le poète est en Italie, l’esprit du pays vient le visiter. Marie elle-même, qu’est-ce autre chose que l’image de la Bretagne, image modeste et rustique, voilée par la tristesse et toujours gravée dans l’âme du Breton ? Ce mélange de beauté et de tristesse, d’idéal et de passion, qui fait le fond du génie celtique, Brizeux le reproduit merveilleusement. Et ne croyez pas que ce soit là un poète exclusivement local, car, sans sortir de la Bretagne, ce qu’il chante après tout, c’est Dieu, la patrie, le foj’er domestique, la nature, tout ce qui élève et fortifie l’âme humaine. C’est ainsi que dans un cadre modeste, dans cette épopée familière de la Bretagne, on retrouve l’expression des plus pures, des plus idéales émotions. On dit souvent que l’Académie est embarrassée à la poursuite des candidats, et qu’elle rechercherait même au besoin des poètes ; l’Académie n’est pas toujours heureuse, elle a découvert l’auteur des Doigts de Fée, mais elle n’a pu découvrir l’auteur des Bretons qui n’eût aspiré qu’à ce dernier prix d’une fidélité constante à la poésie. Le pauvre Brizeux s’en est allé sans avoir franchi le seuil de l’Institut, et peut-être même est-il des académiciens qui n’ont pas lu ses ouvrages. Il était parti récemment pour Montpellier, espérant retrouver sous un climat bienfaisant ses forces défaillantes et la vie qui lui échappait ; il n’a trouvé que la mort, une mort obscure et presque solitaire. Heureusement il s’est rencontré là un autre écrivain, un ami, pour lui fermer les yeux et lui faire de touchantes funérailles. C’est M. Saint-René Taillandier qui s’est chargé du soin pieux de représenter la famille du poète et les lettres, et en rappelant quelques-uns des plus beaux vers de l’auteur de Marie, il a pu lui rendre cet éloquent hommage, que, s’il y a eu dans notre siècle des imaginations plus variées, plus éclatantes, aucune n’a été plus chaste et plus pure. Le dernier vœu de l’aimable poète était d’aller reposer en Bretagne, et c’est là qu’il va être transporté. Des tombeaux et des deuils, est-ce donc là l’unique tristesse de la vie littéraire ? Non, par malheur ; il est des choses dont on voudrait n’avoir rien à dire et qu’on ne sait comment omettre, témoin la souscription ouverte en faveur de M. de Lamartine. Des compatriotes, des amis de l’illustre poète, se sont réunis pour demander au gouvernement la faculté d’ouvrir cette souscription, dans la pensée d’alléger ainsi le fardeau d’une situation de fortune compromise. C’était déjà beaucoup, on en conviendra, de divulguer d’une façon si notoire les délabremens domestiques d’un homme qui a joué un si grand rôle ; du moins ceux qui prenaient une telle initiative étaient autorisés par l’exemple de M. de Lamartine lui-même. Depuis quelques années, l’auteur des Méditations a multiplié les plus tristes confidences sur sa