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lement rejeté vers la fin de la session les principales de ces lois, celle qui a trait aux titres de noblesse et les lois financières : les unes et les autres donnent la mesure de l’intervention du corps législatif dans les affaires, et elles mettent peut-être en relief plus d’une nuance caractéristique de la société actuelle.

Dans un temps où on parle si peu de toutes choses, et particulièrement des plus graves, on a beaucoup parlé de la loi sur les titres de noblesse ; les brochures se sont succédé. Quelle était en réalité la question bien simple qui se débattait ? Le gouvernement avait proposé le rétablissement d’un article du code pénal qui réprime l’usurpation des titres, article inscrit dans la législation par l’empire, maintenu par la restauration, et aboli au lendemain de la révolution de 1830. Le corps législatif, s’inspirant d’une pensée plus générale, s’est rallié à une disposition qui punit les usurpateurs de titres et même tous ceux qui, pour s’attribuer une distinction honorifique, modifient ou altèrent leur nom. Est-ce donc là un fantôme de restauration féodale ? La loi nouvelle, fût-elle impuissante ou difficile à exécuter, ne répond-elle pas à un mal assez visible ? Il y a toujours en France deux sentimens également vifs, et entre lesquels on flotte sans cesse. Nous avons la passion de l’égalité, cela n’est pas douteux. Nous voulons être égaux, surtout quand nous nous sentons en présence d’une supériorité quelconque. Pour l’égalité, nous renonçons à tout, même à la liberté ; mais en même temps il y a une fureur immodérée et puérile de distinctions et d’honneurs. Un titre est d’un si merveilleux effet ! Et au besoin même, faute d’un titre, on fera subir à son nom toute sorte de métamorphoses, d’où il sortira rajeuni et illustré des signes de la noblesse. Ce n’est pas une mode d’aujourd’hui : avant 1789, le généalogiste Chérin disait avec douleur déjà, en voyant se multiplier les parvenus : « Hélas ! toute la bourgeoisie y passera ! » Que dirait-on de nos jours ? Il semble même qu’après chaque révolution il y ait une nouvelle génération d’anoblis inconnus la veille, et c’est ainsi que notre société s’encombre véritablement de titres et de noms de fantaisie. Le ridicule ne suffit-il pas, dira-t-on, pour faire justice de cette efflorescence aristocratique ? Non, il ne suffit plus. Et où voit-on que depuis longtemps il ait tué aucune vanité ? On prend un titre, on change son nom, le monde rit un jour, puis il cesse de rire, et il y a un noble de plus. S’il en est ainsi, pourquoi n’invoquerait-on pas la loi comme un frein ? Mais alors, ajoute-t-on, c’est une atteinte aux principes de 1789, une reconnaissance de la noblesse ? On oublie que la vraie et légitime révolution a voulu abolir des privilèges onéreux ; elle n’a point entendu supprimer dans l’histoire et dans la vie sociale des titres qui sont un symbole du passé, ou qui rappellent des services contemporains. Le corps législatif a donc pu voter la loi ; la reconstitution de la féodalité et des majorats ne sera point la conséquence nécessaire du nouvel article du code pénal. Il est bien plus à craindre que le culte des souvenirs historiques ne diminue chaque jour, et qu’il n’y ait bientôt plus de noblesse faute de nobles. Les nobles jouent à la Bourse ; sous prétexte d’être utiles et de se mêler à toutes les œuvres contemporaines, ils prêtent complaisamment leur nom à la spéculation ; facilement oublieux, il en est qui vendraient jusqu’à la maison de leur père pour ajouter à leur capital disponible. La loi peut protéger encore