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breux contradicteurs, M. Litolff est une physionomie d’artiste peu commune.

Les anciens élèves de l’école de Choron se sont réunis cette année, comme les années précédentes, pour fêter la mémoire de leur illustre maître. Une messe en musique de la composition de M. Dietsch a été chantée à l’église de la Madeleine, le 27 avril, par deux cents exécutans. Dans cette œuvre distinguée, on a remarqué un Pater noster en chœur de Meyerbeer, un O salutaris à quatre voix de Rossini, d’une harmonie très fouillée et très fine, mais surtout un Benedictus de la composition de M. Dietsch, morceau d’un sentiment exquis et vraiment religieux qui pourrait être signé de la main d’un maître. Jamais M. Dietsch ne s’est élevé aussi haut que dans ce Benedictus, qui a produit un effet plein de charme et d’onction. La mort a enlevé cette année deux des plus anciens élèves de Choron : M. Olive de La Gastine, un professeur distingué dont la modestie égalait le mérite, et M. Léon Bizot, qui s’est fait un nom au théâtre de l’Odéon, où il a chanté avec succès les rôles de baryton. C’est aussi un ancien élève de Choron que M. Delsarte, qui a donné tout récemment dans la salle de M. Herz un concert des plus curieux et des plus intéressans. Il a chanté, avec la profondeur de sentiment qu’on lui connaît, le songe d’Iphigénie de Gluck, des chansons piquantes du xvie siècle qui font partie de ses Archives du Chant, publication curieuse à plus d’un titre, et puis il a récité des fables de La Fontaine avec une finesse et une bonhomie de diction fort remarquables. Il est à regretter que M. Delsarte, qui a fait une étude si approfondie de la déclamation lyrique, ne se soit pas exclusivement consacré à l’enseignement de cette partie de l’art. Il y aurait trouvé une renommée solide et des avantages que ne peuvent lui assurer les tentatives diverses dans lesquelles il gaspille, ce nous semble, de belles facultés. À ce concert de M. Delsarte, qui avait réuni une société élégante, nous avons eu le bonheur d’entendre Mme la princesse Czartoryska, une élève distinguée de Chopin, dont elle interprète la musique avec une grâce parfaite, et Mme la princesse de Chimay, qui joue aussi du piano comme une artiste qui a été nourrie de bonne musique. Ces deux dames ont exécuté un concerto de Mozart pour deux pianos et orchestre, et n’ont pas eu besoin d’indulgence pour être chaleureusement applaudies de l’auditoire.

La conclusion à tirer de ce nombre considérable de concerts qui ont été donnés cet hiver à Paris, c’est que le goût de la musique de chambre se répand de plus en plus, et devient un besoin de la classe éclairée du public français. Chacune des sociétés qui s’est instituée pour l’exécution des chefs-d’œuvre de la musique instrumentale attire une fraction particulière du monde parisien, dont elle fait l’éducation. Ce sont les bons concerts, ceux du Conservatoire, des Jeunes-Artistes, de MM. Alard et Franchorame, etc., qui ont formé cette masse d’auditeurs intelligens qui courent aujourd’hui au Théâtre-Lyrique entendre les Nozze di Figaro de Mozart. Trois femmes d’un talent diversement remarquable, Mmes  Carvalho, Van-den-Heuvel et Ugalde, chantent et jouent à ravir les rôles du page, de la comtesse et de Suzanne. Qui dirait que cette partition admirable, qui vaut presque celle de Don Juan, remonte à l’année 1786 ? C’est que le beau ne vieillit pas et s’impose à l’admiration des hommes. Le public émerveillé a fait répéter jusqu’à six morceaux des Nozze di Figaro, dont nous sommes heureux de consigner ici l’éclatant succès.

P. Scudo.