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Don Mariano venait de rouvrir les yeux. Se soulevant avec peine sur le coude, il regardait avec surprise les cavaliers du cirque accourus autour de lui, et qui se disposaient à l’emporter. Quoiqu’il ne fût point blessé grièvement, la secousse avait été rude, et il croyait sortir d’un rêve. La course était finie ; les spectateurs descendaient tumultueusement par les couloirs. doña Barbara, encore tremblante d’émotion, se hâtait de rejoindre son fils ; doña Leocadia soutenait ses pas mal assurés. Mariano essayait de sourire à sa mère pour lui montrer qu’il ne souffrait pas trop. Tout en essuyant la poussière qui souillait ses vêtemens de soie, il ramassa le nœud de rubans enlevé au taureau par le vainqueur et l’épée teinte de sang abandonnée près de lui.

— À qui ferai-je hommage de cette divisa ?… dit-il avec tristesse. Ce n’est pas moi qui ai tué la bête.

— Elle sera pour moi, répondit Leocadia ; je la prends !

— Et cette vieille épée à la garde d’argent ?… D’un côté j’y vois le cri de guerre des Almogavares : Hierro, despierta te !

— De l’autre, répliqua la jeune fille, est tracé un nom…

Et don Mariano rougit en lisant ces mots, qui étaient un remords pour lui : El de la Rollona.

Celui qui l’avait porté s’éloignait alors du Puerto-Santa-Maria. Au bruit de la foule qui applaudissait à son triomphe, don Guillermo s’était esquivé avec Andrès.

— Mais restez donc, marquesito, disait le vieux cavalier, que l’on vous voie, que l’on vous reconnaisse…

— Grâce à Dieu ! murmurait don Guillermo, j’ai donc eu, moi aussi, mon jour, mon heure….. Tu ne rougiras plus de ton jeune maître, mon vieux Andrès… Et il acheva tout bas : La jeunesse est égoïste à sa manière, au moins autant que l’âge mûr… Aurais-je risqué ma vie pour sauver celle de ce jeune fat, si sa sœur n’avait d’aussi beaux yeux ?

L’événement avait fait du bruit au Puerto-Santa-Maria. La marquise l’apprit de la bouche même de doña Barbara, qui vint, conduite par son fils Mariano, serrer la main de Guillermo. Les deux jeunes gens se lièrent d’une étroite amitié, et doña Fernanda, forcée d’ouvrir les yeux, comprit que son enfant d’adoption avait atteint sa grande majorité. Elle en ressentit d’abord un profond chagrin ; mais la placide marquise ne tarda pas à se consoler, lorsque le mariage arrêté entre Guillermo et Leocadia lui eut fait espérer qu’elle n’attendrait pas longtemps l’occasion de reprendre vis-à-vis d’une nouvelle famille ce rôle de mère adoptive qui entretenait doucement sa sensibilité, sans l’exposer à de trop vives émotions.


TH. PAVIE.