marquesito, du courage ; si don Mariano vous a insulté, nous trouverons moyen d’arranger cette affaire-là ;… mais vous voyez bien que doña Leocadia a pris votre défense…
Guillermo secoua la tête. — La mauvaise humeur rend injuste, marquesito, continua Andrès ; moi, je vous dis que cette journée a été moins fâcheuse que vous ne le pensez… Premièrement, vous avez connu par vous-même qu’il est temps de risquer un grand coup pour faire disparaître ce vilain sobriquet ;… secondement, vous avez acquis la certitude qu’au milieu des méchancetés qui se déchaînent contre vous, marquesito, il y a une voix qui s’élève en votre faveur ; et quelle voix !…
— Ah ! qu’il est triste d’avoir besoin d’être défendu ! s’écria Guillermo.
— J’irai à Séville vous chercher une épée de première trempe, ajouta Andrès, et avant une année je veux que toutes les dames du Puerto, doña Leocadia à leur tête, vous applaudissent et vous proclament un héros !
Vers le soir, la marquesa, qui était un peu souffrante ce jour-là, prit le bras de son fils adoptif et fit avec lui un tour de jardin. À la clarté des étoiles, ils se promenaient tous les deux à petits pas, échangeant quelques lentes paroles. On eût dit deux vieillards, et pourtant la marquesa avait quarante ans à peine ; mais elle portait le poids d’une vie allanguie et monotone, plus lourd que celui de la vieillesse. Guillermo, par respect, par condescendance et aussi par gratitude, partageait avec elle le fardeau de cet indéfinissable ennui. Toutes ses impatiences venaient s’amortir contre l’apathie de la noble dame qui l’entourait de soins et le comblait d’affection. Il comprenait que pour toujours il resterait aux yeux de sa mère adoptive l’enfant orphelin dont la misère et la gentillesse avaient excité la sympathie. Changer de rôle, se redresser de toute la hauteur de ses vingt ans, c’eût été troubler le repos de la marquesa et lui faire sentir cruellement qu’au moment où elle allait vieillir, la jeunesse s’éveillait auprès d’elle.
Après les émotions diverses de cette longue journée, don Guillermo ne goûta point le repos accoutumé. En vain il essayait de dormir et appelait de ses vœux la clarté d’un jour nouveau qui effacerait les désolantes impressions de la veille. Un souvenir pénible le poursuivait impitoyablement, celui de la caricature terrible de Goya, au bas de laquelle le peintre, si amer dans sa gaieté, a écrit ces mots : El de la Rollona. Elle représente un enfant déjà grand, tenu par des lisières, et qui plonge dans sa bouche gourmande deux mains pleines de friandises. La face de cet enfant gâté porte le cachet de la sottise, de la lâcheté et d’une éducation sensuelle.