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— Señora, lui dit-il un jour, l’enfant grandit ;… il a seize ans, n’est-il pas vrai ? Ses études avancent, et je ne crois pas avoir rien à lui apprendre désormais…

— Comment donc ! reprit la marquise ; on garde les enfans huit ans et plus dans un collège, et au bout de quatre années celui-ci aurait achevé ses études ?

— Dans un collège, on émiette la leçon pour que chacun en ait sa part : c’est là une des raisons pour lesquelles l’éducation s’y prolonge. Il y en a d’autres encore… D’ailleurs je ne dis pas que Guillermo n’ait plus rien à apprendre, je dis qu’il serait temps de lui. choisir une carrière…

— Pourquoi faire ? reprit lentement la marquesa.

— Pour employer ses facultés et le mettre à même d’accomplir sa mission ici-bas !… Voyons, señora, la carrière des armes est une profession noble et qui convient…

— La guerre m’a tué mon mari ! s’écria la marquise ; vous l’avez donc oublié, don Cajetano ?…

— Pardon, señora ; la marine offrirait au jeune homme une utile application de ses facultés : il a du goût pour l’astronomie, pour la géographie, pour tout ce qui se rapporte à l’étude des sphères célestes et du globe de la terre…

— En ce cas, il faudra que je le quitte…

— Les voyages lointains sont, à n’en pas douter, ce qui le préoccupe, ce qui l’attire…

— Mais, encore une fois, interrompit la marquesa, il faudra donc que je le voie s’éloigner de moi !… S’il sortait d’ici par une porte, l’ennui entrerait par une autre…

— Enfin, señora, reprit don Cajetano, il ne peut commencer par où les autres finissent, par l’inaction et le repos. Voulez-vous cultiver le penchant qu’il montre pour le dessin ? Il trouvera de beaux modèles dans les peintres espagnols.

— Je vous l’ai dit, répliqua la marquise avec une certaine impatience, don Guillermo est devenu mon fils par adoption, ma fortune particulière peut lui revenir : est-il besoin qu’il apprenne un état ?…

— Madame, interrompit le moine, voulez-vous le bonheur de ce jeune homme ? Le voulez-vous sincèrement ? Permettez-lui d’arriver à quelque chose, aidez-le à prendre rang parmi les hommes utiles, sérieux… Ne souffrez pas qu’il végète, qu’il se traîne dans la vie avec le regret de n’être rien.

— N’être rien ! dit la marquise ; mais si je lui donne mon nom !… Après tout, il n’est pas mon fils… Si j’étais vraiment sa mère, peut-être mon amour-propre serait-il flatté de le voir arriver aux honneurs, à la réputation… Enfin il n’est que mon fils adoptif. Je l’ai