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à des interprétations désobligeantes, ce qu’il est, où tu l’as ramassé ?…

— Le pauvre enfant ! il ne se doute guère du bruit qui se fait autour de lui !

— Et autour de toi à propos de lui… Est-ce un enfant adoptif ? D’où vient-il ? Pourquoi l’avoir pris avec toi de préférence à quelqu’un de ta famille ?

— Mes plus proches parens sont à La Havane ; ils y vivent dans l’opulence, et n’ont nullement besoin que je les prenne sous ma protection…

— Le colonel affirme que cet enfant est étranger, qu’il est Anglais…

— Le colonel n’a pas deviné juste.

— Ce qu’il y a de certain, c’est que le monde commence à jaser…

— C’est son métier…

— On est fort intrigué au Puerto de ce blondin, qui a l’air d’un défi jeté à la curiosité publique.

— Et cette curiosité publique, ma bonne amie, tu serais bien aise de la satisfaire…

— Moi !… oh ! je n’y tiens guère… J’aime mes amies, et je voudrais pouvoir les disculper quand on les accuse. Tu veux lutter contre le monde, ma pauvre Fernanda, et tu te jettes dans l’inconnu pour tromper l’ennui qui t’accable…

— Mais je ne m’ennuie pas, répondit la marquesa.

— C’est-à-dire que l’ennui t’a vaincue, subjuguée ; tu n’as plus la force de rentrer dans la sphère où tu devais vivre et d’où tu as eu la faiblesse de t’exiler…

Après le départ de doña Barbara, la marquesa, un peu émue, se mit à se promener dans les allées de son jardin. — Voyons donc, se dit-elle intérieurement, est-ce que je m’ennuie ? Le repos que je goûte ici ne vaut-il pas le trouble et l’agitation des grandes villes ?… Ah ! le monde en veut à ceux qui le délaissent ;… il appelle faiblesse ce que je nomme, moi, force d’âme et énergie de la volonté ! En vérité, pour un peu plus il y verrait de l’orgueil !… Je vis avec les petites gens dont je fais le bonheur ; aucun d’eux ne me contredit, et je règne doucement sur mon petit domaine. Les matinées ont bien leur tristesse, le milieu du jour est quelquefois lent à couler, les soirées ne passent pas aussi vite que je le voudrais, cela est vrai, j’en conviens ; mais j’y suis faite. D’ailleurs toute existence a ses langueurs !

En achevant ces paroles, elle poussa un soupir et leva les yeux sur les bosquets qui l’entouraient. Le barbet Cordero marchait devant elle de ce pas lent et incertain d’une bête apathique déshabituée de courir. Le profil de la Melitona, assise dans la cuisine, se