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gourmandes, chassées de nos froids climats par la gelée et par la neige, couraient gaiement sous les arbres sans s’effrayer de sa présence, l’enfant tenait ses regards fixés sur un vautour venu de la sierra de Ronda, qui se balançait sur ses courtes ailes et décrivait de grands cercles au milieu des airs. Dans le ciel, sur la terre, et aussi sur les eaux du fleuve majestueux régnait un calme profond, une sérénité que l’on ne trouve point dans les pays troublés par le travail incessant de l’homme. C’était sans doute cet instinct du repos, ou, si l’on veut, de la douce paresse, qui se révélait à l’enfant, soumis dès le premier âge à de rudes labeurs. Il rêvait les yeux ouverts, ne pensant à rien, comme si un de ces enchanteurs dont parlent les contes arabes l’eût plongé dans un sommeil extatique.

Cependant la fraîcheur du soir vint le tirer de cette longue somnolence. Rappelé subitement à la réalité, l’enfant monta sur un arbre pour chercher du regard son navire, et, ne l’apercevant plus, il se mit à pleurer. Nous tenons toujours par quelque lien secret aux choses dont nous croyons pouvoir nous détacher avec le plus d’indifférence. L’enfant versa donc des larmes abondantes ; il eut peur de se voir tout seul dans ce lieu désert, lorsque les ténèbres lui eurent caché la cause des bruits qui çà et là résonnaient à son oreille. Puis, comme la nature sait proportionner l’intensité des émotions à la force de celui qui les ressent, il céda à la fatigue qui endormait son chagrin, et ne tarda guère à s’assoupir entre deux grosses branches de l’arbre sur lequel il avait grimpé.

On est aussi matinal que les oiseaux, quand on a passé la nuit comme eux à la belle étoile. Au premier chant de l’alouette, l’enfant, poussé par la faim, s’enfonça dans les terres. Des cavaliers au teint hâlé, vêtus à l’andalouse, passaient au galop de leurs chevaux, portant sous le bras la longue lance qui leur sert à piquer les taureaux à travers les plaines. Ils jetaient sur l’enfant étranger un regard si dédaigneux, que celui-ci n’osait leur adresser la parole ; d’ailleurs ils n’eussent rien compris à ses questions. Après une longue marche, le petit déserteur arriva à une maison d’assez belle apparence, précédée d’une cour spacieuse, dont la porte, ouverte à deux battans, semblait convier le voyageur à entrer. Il franchit le seuil, allongea la tête en mettant ses mains derrière son dos, et attendit qu’une voix humaine lui criât : Qui es-tu ?

Pendant quelque temps, il n’entendit que le chant des muletiers qui vannaient l’avoine dans l’écurie et le roucoulement des pigeons qui gémissaient sur les toits. Deux grands lévriers, couchés près du puits, le contemplaient du coin de l’œil avec une parfaite indifférence, et l’enfant eût attendu longtemps encore, si un barbet de mauvaise humeur, assis sur un fauteuil de cuir près d’une fenêtre,