Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défendues contre les séductions de l’opposition. Née au sein de l’aristocratie territoriale du midi, l’opposition tendait naturellement à se répandre parmi les petits propriétaires fonciers de la Nouvelle-Angleterre, et il suffisait d’une secousse venant du dehors pour lui livrer la multitude incertaine des ouvriers et des petits bourgeois. Jefferson était plein de joie et d’espérance. « La marée change ! » s’écriait-il (décembre 1792) en saluant « le vieil esprit de 1770 » qui se réveillait au bruit du canon de Valmy ; « la marée change ! La faiblesse excessive de notre ancien gouvernement avait repoussé violemment le flot dans le sens opposé, et il menaçait de tout recouvrir des oripeaux de la monarchie ; mais le voilà qui reprend une bonne direction et qui va nous conduire, je l’espère, à un gouvernement de lois s’adressant à la raison du peuple et non à ses faiblesses !… La sensation produite par les nouvelles venues d’Europe et le reflet qu’on en trouve dans nos journaux montrent que la tournure de nos affaires dépendait encore bien plus de ce qui se passe en France que les plus avisés n’auraient pu le prévoir… Les succès du républicanisme en France ont donné le coup de mort aux espérances des monocrates. Nos républicains se réjouissent, et ils se targuent aujourd’hui du nom de jacobins qu’on leur infligeait, il y a deux mois, comme un stigmate. »


III.

Un grand changement venait de s’opérer dans le caractère de la lutte entre les partis. Cette lutte avait surtout porté jusque-là sur des questions d’organisation intérieure ; elle allait principalement porter dans l’avenir sur des questions de politique étrangère. La divergence entre les vues diplomatiques des deux partis était aussi ancienne que leur existence ; mais avant la proclamation de la république à Paris et l’explosion de la guerre entre la France et l’Europe, elle n’avait eu aucune grande occasion d’éclater. Dès le début de notre révolution, les hommes d’état fédéralistes avaient entrevu ses faiblesses cachées, éprouvé des doutes sur son succès, et manifesté de la répugnance à lier intimement les États-Unis aux destinées d’une nation dont la force leur semblait devoir être longtemps paralysée par l’anarchie, et dont les exemples leur paraissaient redoutables pour leur propre pays. Le 19 avril 1790, John Adams écrivait à Richard Price, en le remerciant de lui avoir envoyé le fameux Discours sur l’Amour de la Patrie, auquel Burke répondit par ses Réflexions sur la Révolution française : « Depuis 1760, toute ma vie a été consacrée à la défense et à la propagation de l’esprit de liberté… La révolution française ne