gens. Faisant appel à sa dignité, il le somma de choisir entre le gouvernement et l’opposition. Le coup porta. On vit d’où il était parti. Le président, auquel il avait convenu jusque-là de ne pas prendre connaissance de la querelle, ne put continuer à l’ignorer. Il dut interposer son autorité ; les deux rivaux eurent à s’expliquer sur leur conduite. À force d’artifices, Jefferson avait amené la rupture ouverte qu’il redoutait, et il se trouvait, à son grand déplaisir, engagé d’honneur à rester à son poste : au risque d’avoir l’air de céder à ses ennemis, il devait conserver des fonctions qui l’obligeaient à sévir, contre ses amis. À leur instigation en effet, les comtés occidentaux de la Pensylvanie s’étaient coalisés pour empêcher la perception de l’impôt sur les boissons. Par une proclamation, le président menaça les rebelles de les déférer aux tribunaux ; il voulut que cet acte fût contre-signé par Jefferson. Le ministre s’exécuta de bonne grâce. Il remplissait fort exactement les devoirs officiels de sa charge ; mais son dépit d’avoir à servir une politique qui n’était pas la sienne allait s’envenimant de jour en jour, et, tout en se défendant plus que jamais d’être pour rien dans la conduite des républicains, il entrait de plus en plus avant dans leurs passions et leurs affaires.
Ce ne fut assurément pas à son insu que, dans le seul dessein d’agiter l’opinion, les républicains dénoncèrent formellement Hamilton à la chambre des représentans comme coupable de malversations, et que, pour faire une manifestation anti-monarchique, ils combattirent la réélection de J. Adams à la vice-présidence. Hamilton échappa à la censure, mais pendant près d’un mois sa probité avait été publiquement mise en question. John Adams fut nommé, mais 53 voix sur 130 avaient déclaré la république en danger : c’étaient celles du New-York, de la Virginie, du Kentucky, de la Caroline du nord et de la Géorgie. Les fédéralistes l’avaient emporté dans presque toute la région située au nord du Potomac, et où l’influence de la grande bourgeoisie, bien que déjà fort ébranlée, était encore prépondérante. Le clergé, le barreau, la magistrature, les grands capitalistes, banquiers ou armateurs, ceux que des liens commerciaux, des traditions légales ou des affinités religieuses rattachaient à l’Angleterre, ceux que la culture de leur esprit ou la nature de leurs affaires élevait au-dessus des petites préoccupations de localité, ceux qui par leur profession étaient amenés à concevoir le goût ou à éprouver le besoin de l’ordre dans la société, étaient favorables à la politique du gouvernement. Les classes rurales toutefois, plus opiniâtres dans leur rancune contre la mère-patrie et dans leur méfiance contre le pouvoir, plus renfermées dans le cercle étroit de la vie provinciale, moins éclairées, moins prospères, moins touchées des avantages d’un gouvernement régulier, étaient moins