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tenant d’une main un revolver, de l’autre une sorte d’assommoir, l’accable de coups et le laisse presque mort sur la place.

Tels sont les faits hautement avoués par le ministre Smith devant les jurés du Gloucestershire, et qui lui ont valu, sévèrement, mais justement appréciés, une condamnation pénale à quatre années de prison. Ne viennent-ils donc pas à l’appui des réflexions que nous suggérait l’analyse des Scènes de la Vie cléricale? On nous dira peut-être que ce sont là des circonstances tout à fait exceptionnelles. Nous répondrons que celles-là seules fixent l’attention, et que, dans le train de la vie quotidienne, mille incidens passent inaperçus, qui ont le même sens et portent avec eux le même enseignement. Il nous suffira, pour le prouver, de citer encore l’exposé succinct d’un procès raconté sous ce titre : A Romance of real life, — Buchanan V. Chatto, presque en regard du compte-rendu de l’affaire Smith.


« Le demandeur poursuit le recouvrement d’une somme de neuf livres onze shillings et six pence, montant d’une lettre de change protestée. Le défendeur admet sa dette. Il expose qu’il est membre du clergé de l’église d’Angleterre et curé de Saint-Philippe, Bethnal-Green[1]. Il y a cinq ans, mis en rapport avec une personne du nom de Haig et se trouvant aux prises avec les nécessités les plus pressantes, il pria cette personne de lui procurer un emprunt de trois cents livres sterling, s’offrant à trouver des garanties suffisantes et à payer une prime de tant pour cent, sur la somme prêtée, à l’intermédiaire officieux qui la lui aurait fait obtenir. Haig refusa la prime, et se fit souscrire pour ses soins un billet de sept livres dix shillings payable à tout événement, soit qu’il eût ou non trouvé la somme dont le défendeur avait un si impérieux besoin. Le défendeur essayait alors de gagner sa vie en donnant des leçons; mais, victime d’une mauvaise chance permanente, il se vit réduit à accepter la place de chapelain dans une prison de comté, aux appointemens de vingt-cinq livres par an (six cent vingt-cinq francs). Depuis lors seulement, il est devenu curé de Saint-Philippe avec quatre-vingts livres (deux mille francs) de traitement. Sous le coup d’une éviction pour non-paiement de loyers, il a dû, tout récemment, engager d’avance son revenu afin de pouvoir s’acquitter envers son propriétaire. Il est prêt à jurer qu’il n’a reçu ni un farthing du prêt que Haig devait lui procurer, ni quoi que ce soit en représentation du billet qu’il lui avait souscrit dans les circonstances détaillées plus haut.

« On objecte au défendeur qu’il a renouvelé ce billet en faveur de la personne à qui Haig l’avait passé. — Je n’ai pas voulu, répond-il, manquer à ma parole. Je me regarde comme lié par ma signature. J’aurais pu me faire délier par la cour des insolvables; je ne l’ai pas voulu. Légalement, j’aurais pu être libéré (whitewash’d), mais une libération pareille ne vaut rien en bonne morale.

« Le juge insiste, désirant savoir quelles sont les ressources du défendeur,

  1. Un des plus misérables faubourgs de Londres.