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Italiens avaient l’intelligence de la scène, et qu’ils pouvaient être tout à la fois des chanteurs et des comédiens de premier ordre, comme la Pasta, la Malibran, la Pisaroni, Garcia, Pellegrini, Lablache, etc. N’est-ce pas de Pacchiarotti que Mme Pisaroni avait appris cette grande manière de chanter le récitatif qui a émerveillé tout Paris il y a vingt-cinq ans? Des artistes comme Tamberlick sont la consolation et la justification de la critique; ils prouvent que nous ne sommes pas des rêveurs, des esprits chimériques ou chagrins qui demandent l’impossible pour se donner le facile avantage de n’être jamais contens. L’idéal que nous poursuivons se trouve ailleurs qu’en paradis, et M. Tamberlick, sans être tout ce qu’on pourrait désirer, nous montre les fragmens d’un grand virtuose et d’un comédien intelligent.

Quelques personnes, un peu désappointées de ne pas retrouver dans la voix et la vocalisation de M. Tamberlick le charme et la fluidité incomparables qu’elles ont tant admirés dans le talent de Rubini, se sont montrées sévères pour le nouveau ténor que la fortune leur a fait entendre. Si ces amateurs désabusés avaient plus de goût que de souvenirs, ils n’auraient pas établi de comparaison entre deux chanteurs d’un mérite si différent. M. Tamberlick est loin de Rubini, qui était un enfant gâté de la nature : elle l’avait doué d’un organe si merveilleusement flexible, d’un timbre si pénétrant et d’une sensibilité si exquise, qu’il n’avait qu’à ouvrir la bouche pour enchanter ses auditeurs. Rubini cependant n’a jamais possédé cette large manière de chanter le récitatif et cette belle prononciation qui distinguent M. Tamberlick. Il est à regretter que nous n’ayons pu l’entendre que dans un seul rôle, et que nous n’ayons pu apprécier la flexibilité de son instinct dramatique. Nous serons peut-être plus heureux l’année prochaine, car M. Tamberlick a été trop bien accueilli du public parisien pour ne pas s’empresser de cultiver sa faveur.

L’administration du Théâtre-Lyrique vient d’acquérir un nouveau titre à la reconnaissance des amateurs de la belle musique : elle a fait arranger par deux hommes d’esprit, MM. Nuitter et de Beaumont, l’adorable chef- d’œuvre Preciosa, de Weber. Preciosa est un mélodrame allemand en quatre actes, qui fut représenté sur le grand théâtre de Berlin dans le printemps de 1820, une année avant l’apparition de Freyschütz dans la même ville. Ce mélodrame, dont le sujet est emprunté à une nouvelle de Cervantes, est d’un comédien nommé Wolff, qui fut aussi un auteur intelligent. Wolff est mort en 1828, deux ans après son illustre collaborateur. Le succès de Preciosa fut grand dans l’origine, grâce à la musique de Weber, qui devint promptement populaire. Sans parler des ingénieux pastiches où M. Castil-Blaze avait fait entrer plusieurs des principaux morceaux de Preciosa, la Société des concerts du Conservatoire, la Société de Sainte-Cécile, ont exécuté à plusieurs reprises l’ouverture, le chœur de l’introduction et la marche des Bohémiens, d’un caractère si pittoresque. Il ne faudrait pas juger le mélodrame de Woiff, qui a inspiré le génie de Weber, avec nos idées françaises de 1858. Weber était un poète, et un poète du Nord, dont l’imagination était constamment tournée vers les régions bienheureuses d’où viennent la lumière, la chaleur, les figues et les oranges. Or l’action de ce drame, dont l’héroïne est fille d’un roi des Bohémiens, se passe en Espagne, dans le pays du Cid et du Romancero, où Schubert fait chanter aussi, sous un balcon fleuri, son chef-d’œuvre de la