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rité appartenant à la gauche, proposait le rejet de la loi. Quelques ménagemens que prît la commission pour ne pas ébranler le cabinet en repoussant son œuvre, la question n’en était pas moins nettement posée. Quel était le juge naturel entre le ministère et la commission ? Il n’y en avait point d’autre que la chambre. Le jugement est prononcé aujourd’hui après un débat prolongé, où toutes les opinions ont pu se produire, et, comme il arrive souvent, la difficulté s’est évanouie à mesure qu’on l’a considérée de plus près. Il s’est trouvé en effet, dès les premiers votes de la chambre, que les conclusions de la commission n’ont obtenu qu’un très petit nombre de voix. C’est la discussion même qui a simplifié cette situation ; c’est surtout un habile et éloquent discours de M. de Cavour qui a déterminé le succès de la mesure sur laquelle le parlement avait à se prononcer. Et d’abord, ainsi que le disait le président du conseil, n’est-il pas évident que la commission agissait avec une inconséquence extrême, en se fondant, pour repousser la loi, sur la pression étrangère, et en continuant à prêter son appui au ministère qui aurait subi cette pression ? Le cabinet de Turin a bien reçu, il est vrai, une communication du gouvernement français ; mais cette communication, à laquelle il a été répondu de façon à maintenir la pleine indépendance du Piémont, n’avait nullement le caractère d’une intervention abusive. En présentant la loi sur les attentats, le cabinet sarde n’a fait que détacher certaines dispositions particulières d’un projet de code pénal en élaboration, et, en dehors de toute intervention de la France, il a été principalement déterminé à se hâter par le travail croissant des sectes, par le redoublement des passions révolutionnaires, devenues menaçantes pour le roi Victor-Emmanuel lui-même, par le scandale des acquittemens répétés et systématiques qui absolvaient depuis quelque temps les journaux les plus violens et les plus odieuses apologies de l’assassinat politique. Sur ce point, le témoignage de M. Ratazzi est venu en aide au cabinet, et l’ancien ministre a réclamé sa part de responsabilité dans cette pensée qui a inspiré la loi.

Ce qu’on nomme la pression étrangère n’est en réalité qu’une face de cette question, qui touche à toute la politique du Piémont, à la position de ce pays en Europe. Or, à ce point de vue, la mesure présentée au parlement de Turin était-elle une dérogation à la politique piémontaise ? Il est évident que le Piémont, dans sa situation, a un intérêt de premier ordre à conserver ses alliances. De quel côté peut-il donc se tourner ? Il ne peut se rapprocher de l’Autriche, avec laquelle sa politique le met en antagonisme permanent. Il est l’allié de l’Angleterre, il est vrai ; mais l’Angleterre n’est peut-être pas assez mal avec l’Autriche aujourd’hui pour tourner ses regards vers l’Italie, et elle n’a soutenu que fort tièdement jusqu’ici le cabinet sarde dans son affaire avec Naples au sujet du Cagliari. La Russie et la Prusse sont des amies bienveillantes, mais lointaines. Serait-ce le moment pour le Piémont de laisser se refroidir ou se compliquer ses relations avec la France ? Il en résulterait une sorte d’isolement. Or, en s’isolant, en se renfermant pour ainsi dire en lui-même, le Piémont ne renoncerait-il pas, par le fait, à la position diplomatique qu’il a prise en Europe ? Il ne peut se mêler à toutes les affaires européennes qu’en conservant ce rang qu’il a conquis, et ce rang lui-même, il ne peut le garder et le défendre que par ses alliances. La question nationale domine ici toutes les autres questions.