Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions. Le père est presbytérien, la mère baptiste, la sœur méthodiste, le frère aîné unitaire, et le frère cadet ne fait aucune difficulté d’avouer qu’il n’appartient encore à aucune église. Ce dernier imite exactement M. Brownson; quand il aura mûrement pesé les vertus et les vices des diverses sectes, quand sa raison sera éclairée, alors il choisira. C’est là le mode de conversion inauguré dans le monde par les disciples du bonhomme Richard. Où sont les orages du cœur, le noble souci de la vérité, l’âpre inquiétude, le regret d’une vie morale désormais abandonnée, la rupture des liens chéris de l’habitude, les plaintes ou les anathèmes des amis et le sot dédain du monde subis sans murmurer? Voilà les vraies conversions, celles qui ont le don de toucher, d’émouvoir, de troubler, et à leur tour de convaincre.

Nous sommes édifiés maintenant sur la nature de la conversion. Qu’est-ce que le converti? Un homme d’infiniment d’esprit et de ressources, un utopiste pratique, qui n’a jamais couru aucun danger dans les combats de l’esprit, car il se corrige d’une erreur par une erreur nouvelle. Il n’a jamais mené de front deux idées à la fois, et lorsqu’il en a adopté une, il l’a poussée jusqu’à ses dernières conséquences, de manière à en être effrayé lui-même et dégoûté à tout jamais. Comme il considère les idées isolément, il a dû naturellement les trouver successivement toutes fausses et perverses, lorsqu’elles étaient poussées jusqu’au bout de la logique, car le véritable point d’arrêt d’une idée consiste dans sa relation, ou, pour mieux dire, dans sa soudure avec une autre idée. Lorsqu’elles se développent isolément, elles arrivent jusqu’à la monstruosité. C’est le sort que toutes, mariage, propriété, démocratie, protestantisme, ont subi successivement en passant par la logique de M. Brownson. Jusqu’à sa conversion, M. Brownson n’a jamais eu une doctrine; mais il abonde en points de vue ingénieusement choisis, et quelques-uns de ses paradoxes sont restés célèbres. Nous en citerons un, entre autres, qui éclairera le lecteur sur la nature de son esprit. Il y a quelques années, M. Brownson a étonné les États-Unis par la plus singulière apologie du gouvernement autrichien qui ait encore été tentée. Selon M. Brownson, le gouvernement autrichien est le type des gouvernemens de l’avenir, parce qu’il résume sous une forme pratique et dans un équilibre parfait les avantages de l’autorité et de la liberté, les avantages du gouvernement anglais et du gouvernement russe. L’Autriche représente donc l’absolutisme libéral, ou, si vous aimez mieux, le libéralisme absolutiste. Cette ingénieuse théorie est certainement la plus agréable qu’il nous ait été donné de lire depuis cette immortelle formule du célèbre M. de Girardin. avec lequel M. Brownson a bien quelques rapports : Simplification