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de son esprit, ni à réprimer les excès d’aucune d’entre elles. C’est un esprit mobile et sans passions, aisément accessible à la séduction, mais prémuni contre le danger par sa mobilité même. La curiosité intellectuelle est assez vive chez lui, mais elle n’est jamais excessive, et n’a rien de cet acharnement passionné qui fourvoie les esprits robustes. Quoiqu’il ait traversé toutes les hérésies modernes, il n’a jamais fait halte au milieu d’aucune d’elles, et il a continué à trotter au pas mesuré d’une logique docile, soumise et bien domptée, vers le but qu’il devait atteindre enfin. Sa conversion n’a rien de bien miraculeux, et, à proprement parler, ne mérite pas le nom de conversion; c’est la conclusion naturelle de toute sa vie intellectuelle. Il y a réellement des esprits prédestinés à tel ou tel système, à telle ou telle erreur. Ainsi supposons un lecteur qui ne sait rien de la vie de Lamennais, et qui lit l’Essai sur l’indifférence en matière de religion; il devinera aisément, s’il est doué d’une certaine pénétration, que l’auteur de ce livre a dû aller ou ira aux derniers abîmes. De même pour M. Brownson : quand on suit avec attention la série de ses raisonnemens successifs, on voit qu’il s’avance sans dévier jamais vers le catholicisme. Au lieu de l’éloigner du catholicisme, chacune de ses hérésies l’en rapproche; l’universalisme lui a enseigné la doctrine catholique des peines et des récompenses; les doctrines des droits de la femme lui ont révélé le mariage catholique; le saint-simonisme, la nécessité d’une église visible. Si nous pouvions nous servir de cette expression, nous dirions que le catholicisme a toujours été à l’état latent chez M. Brownson; dès son enfance, il se dirigeait vers l’église dans laquelle il est enfin entré.

Il y a encore une autre raison qui rendait infaillible la conversion de M. Brownson. Les esprits difficiles à convertir sont ceux qui possèdent un système, c’est-à-dire une vue d’ensemble sur les choses, une explication générale du monde et de ses lois. Les esprits systématiques ne considèrent jamais une idée isolément; ils la considèrent dans ses rapports avec toutes les autres idées. La vérité se présente à leur esprit comme un ensemble d’idées liées entre elles par des rapports nécessaires, sous une synthèse majestueuse. Il y a d’autres intelligences au contraire, et M. Brownson est de celles-là, qui cherchent la vérité à tâtons, successivement pour ainsi dire, qui s’adressent tantôt à une idée, tantôt à une autre, et réfléchissent sur les conséquences d’une doctrine avant de réfléchir sur ses principes. Que penseriez-vous d’un homme qui, pour arriver à la connaissance de la vérité, commencerait par réfléchir sur les conditions du salut et sur la sanction de la vie terrestre? C’est là l’histoire de M. Brownson. Toute sa vie, il semble avoir considéré les idées comme indépendantes les unes des autres, et s’est acharné