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mœurs sobres et de tempérament placide. Les conversions intéressantes sont donc celles qui ne peuvent s’expliquer que par un coup de la grâce divine ou par un effort surhumain de la volonté, celles par conséquent que l’on doit appeler miraculeuses et héroïques. Aussi les grandes et sympathiques conversions sont-elles celles des grands libertins et des grands orgueilleux. C’est par exemple la conversion d’Ignace de Loyola, lorsque, blessé grièvement à Pampelune, la pensée de l’éternité se présente à lui tout à coup, et que tout le passé de son âme fougueuse, violente, ambitieuse, âpre aux biens et aux joies de ce monde, indifférente aux choses divines, se déroule sous l’œil de son esprit. C’est la conversion de Rancé, lassé des vanités et des passions du monde, et inventant pour s’en punir les saintes austérités de la Trappe. C’est encore, si l’on veut, la conversion du malheureux Zach arias Werner, qui, au terme de ses erreurs, de ses libertinages mêlés de repentirs, de ses débauches mêlées de prières, et de ses cinq ou six divorces, s’agenouille au pied d’un confessionnal catholique, et écrit son étrange testament sous l’invocation de la très sainte Trinité. En matière de conversion comme en toute chose, le courage moral, la grandeur et la beauté sont nécessaires pour appeler la sympathie. Il m’est désagréable, je l’avoue, d’avoir à faire cette réserve esthétique en parlant d’un acte si digne d’estime; mais les vertus les plus estimables, lorsqu’elles sortent de leur obscurité et appellent le jugement du public, doivent compter qu’elles seront examinées sous toutes leurs faces et minutieusement critiquées. Aussitôt qu’un acte devient public, il est jugé d’après des lois générales fort différentes de celles qui régissent la vie privée : on ne lui demande pas seulement d’être estimable, on lui demande encore d’être grand.

Or M. Brownson appelle un jugement public. Il s’est converti et a cru devoir expliquer à ses contemporains les motifs de sa conversion. Puisqu’il soumet le résultat de sa vie morale à l’appréciation du public, il doit se résigner à le voir discuté comme une œuvre d’art, comme un procédé littéraire, comme la stratégie d’une bataille; il doit s’attendre à voir figurer l’intérêt et la sympathie parmi les motifs principaux du verdict qui sera rendu. La conversion de M. Brownson excite-t-elle autant d’intérêt qu’elle mérite d’estime? Franchement il n’a pas eu à soutenir des luttes bien violentes, et il ne lui a fallu faire sur lui-même aucun effort d’héroïsme. Il n’était tombé dans aucun abîme, et toute sa vie il a marché sur le sol ferme d’un pied très assuré. L’autobiographie que nous avons sous les yeux, écrite d’un style facile, rapide et sec, ne témoigne pas de troubles bien profonds, ni de dégoûts bien amers. Il n’a pas eu davantage à soutenir de grandes luttes, avec les différentes facultés