Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/994

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous côtés ; Éléazar et son fils, le comte Jean Ier, s’y signalèrent par la création de vastes fabriques de soie et de coton aux environs de Moscou, par l’exécution de plusieurs opérations importantes de finances pour le compte du gouvernement, et en prenant une part active à la fondation des villes de Kizlar, Mozdok, Grigoriapol, et de la Nouvelle-Nakhitchévan. Le comte Jean Ier, l’ancien ami de Potemkin, mourut en 1813, laissant une immense fortune, et après avoir été comblé des faveurs de Catherine II, Paul et Alexandre Ier. Sa dernière pensée fut un bienfait pour ses compatriotes, et un nouveau service rendu au pays qui l’avait accueilli. Par son testament, il consacra une partie de cette fortune à la fondation à Moscou d’une maison d’éducation destinée, sous le nom d’Institut des langues orientales, à recevoir les Arméniens et les natifs du Caucase, et à leur fournir une instruction dont ils iraient plus tard reporter le bienfait dans leur patrie. La suprême volonté de Jean, dont l’exécution avait été confiée à Joachim, son frère et son héritier, fut remplie avec une libéralité qui outrepassait même les intentions du donateur. Joachim éleva le capital de fondation à la somme de 500,000 roubles, et depuis lors le comte Jean II, avec ses deux frères Christophe et Lazare, pieux continuateurs de l’œuvre paternelle, ont porté cette somme à plus d’un million (4 millions de francs). Depuis la mort de son père Joachim, arrivée en 1826, Jean II, devenu le chef de la famille de Lazaref, consacra tous ses soins à la direction de l’Institut des langues orientales, et introduisit de nombreuses améliorations dans cet établissement, devenu aujourd’hui l’un des plus importans de ce genre que possède la Russie. L’imprimerie qu’il y annexa s’enrichit des types des idiomes orientaux les plus usuels, et produisit une foule de publications utiles, parmi lesquelles on peut citer l’ouvrage en trois volumes in-4o intitulé Collection de documens relatifs à l’histoire de la nation arménienne, recueil précieux où sont contenus les oukases des tsars et toutes les pièces officielles concernant l’histoire des Arméniens de Russie, et le Dictionnaire arménien-russe de M. de Khoudabachef, dont l’impression coûta 40,000 roubles assignats. Mon content de fournir largement à la dotation des églises arméniennes de Pétersbourg et de Moscou, dont l’érection est due à sa famille, le comte Jean II bâtit à ses frais la belle église qui s’élève aujourd’hui au centre des usines du gouvernement de Perm. Plein d’humanité et de bonté pour les serfs de ses domaines, il subvenait, dans les années difficiles, à leur entretien et à leurs besoins, et voulait que les sommes qu’il affectait à cet usage fussent prélevées sur ses revenus, même avant ses dépenses personnelles. En une foule de lieux, il avait fondé pour eux des écoles et des hospices. Aussi la nouvelle mesure ordonnée par le gouvernement russe pour l’affranchissement des paysans avait-elle été accueillie par lui avec la plus vive sympathie. Ce n’est qu’à sa mort que l’on a connu les prodigalités de sa charité, qui s’exerçait indistinctement envers tous les malheureux, quelle que fût leur religion ou leur nationalité. Ses obsèques ont eu lieu au milieu d’un immense concours, où figuraient tous les ministres de l’empereur. Sa dépouille mortelle a été déposée dans la chapelle arménienne du cimetière de Smolensk, non loin de Saint-Pétersbourg.


ED. DULAURIER.


V. DE MARS.