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pertes, déjà très considérables, du commerce, et aggrave l’état de souffrance dans lequel se trouvent les principales maisons de Hong-kong ; mais il est évident que les représentans des puissances doivent laisser aux événemens leur cours naturel, et qu’ils ne peuvent recommencer la lutte avant que l’empereur de Chine ait eu le temps de répondre à leurs dernières communications. On se prépare toutefois à agir. Canton est mis en état de défense pour le cas où les Chinois tenteraient un retour offensif. Lord Elgin et le baron Gros sont partis pour Shang-haï avec plusieurs bâtimens des deux escadres. Ils seront ainsi plus rapprochés de Pékin, et se rencontreront avec des mandarins dont les dispositions ont toujours été plus bienveillantes à l’égard du commerce étranger que ne l’ont été celles des autorités de Canton. Quel que soit le résultat des négociations ouvertes avec le cabinet de Pékin, il ressort des derniers événemens un fait essentiel, à savoir la coopération des États-Unis et de la Russie s’alliant à l’Angleterre et à la France pour obtenir dans les ports du Céleste-Empire des conditions plus libérales. Ce concours est d’autant plus précieux qu’il marque nettement le caractère de la lutte entreprise contre la Chine, lutte qui n’est inspirée ni par l’ambition politique, ni par un désir de conquête, mais qui se justifie par l’intérêt de la civilisation et du commerce, et dont les résultats profiteront au moins autant au peuple chinois qu’au reste du monde.

Les États-Unis sont décidément en train de devenir la terre classique de l’imprévu et des surprises. Il y a trois mois, la république présentait le spectacle attristant d’une société tout entière en liquidation : les banques publiques et particulières fermaient successivement leurs comptoirs, et le crédit américain semblait près de crouler comme un château de cartes. Les citoyens de l’Union avaient depuis longtemps déjà pratiqué trop assidûment le culte du dieu Mammon ; ils payaient et faisaient payer cher à la trop confiante Europe les conséquences de ce culte impie. Cependant une si désastreuse expérience ne semblait pas les avoir corrigés, et l’on pouvait croire qu’ils persisteraient dans leur endurcissement ; certains organes de la presse américaine s’applaudissaient cyniquement de la banqueroute générale comme d’un remède héroïque qui devait purifier le crédit national et le débarrasser de ses dettes véreuses et de ses mauvaises créances. Heureusement la grâce divine opère où et quand il lui plaît, et il ne faut jamais désespérer du salut des pécheurs. Tout à coup les États-Unis, se sentant touchés de la grâce divine, se sont mis à faire pénitence. À l’épidémie de la banqueroute a succédé une épidémie religieuse plus générale encore, s’il est possible, mais aussi moins dangereuse. Dans tous les états de la Nouvelle-Angleterre, à New-York surtout, les meetings succèdent aux meetings sans interruption. Les chapelles et les églises sont remplies de fidèles qui viennent publiquement implorer en leur faveur les prières de leurs coreligionnaires. En un mot, les États-Unis assistent à ce qu’on appelle, dans le jargon religieux du pays, un revival, ou réveil de la foi. Il y a néanmoins entre ce revival et ceux dont les États-Unis ont donné si souvent le spectacle une immense différence : il n’a aucun caractère de fanatisme et de superstition. Ça et là, dans quelques états, les anciens phénomènes d’hystérie dévotieuse, tels que les convulsions, les aboiemens, se sont bien manifestés ; mais ce ne sont que des accidens isolés qui servent à mieux faire ressortir le caractère général