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à le croire, puisque le ministre britannique à la cour de Sardaigne, sir James Hudson, lui faisait savoir, il y a trois mois déjà, que le cabinet de Londres était disposé à protester contre les procédés du gouvernement napolitain dans l’affaire du Cagliari. Il n’en était rien cependant. Sir James Hudson était allé fort au-delà de ses instructions, et il vient d’être désavoué. Bien mieux, aujourd’hui le roi de Naples désintéresse jusqu’à un certain point le cabinet de Londres en rendant à la liberté les deux mécaniciens anglais, si bien que le Piémont demeure, par le fait, le plus engagé et même peut-être le seul engagé dans cette querelle. Entre la paix diplomatique, qui existe encore, et une rupture déclarée, il n’y a, comme on voit, qu’une petite distance. Il reste néanmoins assez de place pour un arbitrage supérieur et désintéressé, et c’est à ce dernier moyen que les deux gouvernemens auront recours sans doute avant de jeter un élément de trouble de plus dans les affaires du continent.

Les luttes qui divisent l’Europe ne sont pas toutes de l’ordre diplomatique ; il en est une plus intime, plus profonde, qui s’étend visiblement à tous les peuples, et qui se mêle souvent aux complications internationales elles-mêmes. C’est celle qui semble partout engagée aujourd’hui entre les idées libérales et les idées de réaction. Cette lutte se plie naturellement aux conditions locales de chaque pays ; elle n’apparaît pas moins comme un fait universel qui domine en quelque sorte tous les incidens qui se succèdent, et en détermine le caractère. L’Espagne compte-t-elle toujours parmi les nations vraiment constitutionnelles ? Oui, sans doute : l’Espagne a une constitution et des chambres, elle a une presse où s’élèvent des voix intelligentes et libérales, quoique soumises dans ces derniers temps à de singulières contraintes. Au fond, on peut dire que le sentiment libéral du pays ne cesse de se faire jour à travers la confusion même des partis. Il est un fait qui n’est pas moins constant, c’est que depuis la défaite de la dernière révolution, depuis que l’Espagne s’est trouvée replacée en apparence dans des conditions plus régulières, il y a au-delà des Pyrénées une sorte d’imbroglio singulier où l’on voit l’esprit de réaction diriger incessamment une guerre sourde ou ostensible contre toutes les institutions et les garanties libérales. Ce n’est pas le gouvernement, et il faut lui en faire honneur, qui dirige ou inspire cette guerre. Il serait plutôt menacé lui-même par ce travail étrange, accompli en dehors de son action, presque toujours malgré lui, et souvent contre lui. C’est là véritablement la raison secrète de tous les incidens qui se succèdent au-delà des Pyrénées, et qui ressemblent aux épisodes d’un drame où il ne s’agit de rien moins que de maintenir l’intégrité des institutions libérales.

D’un côté que voyez-vous ? Le cabinet actuel, mettant à exécution une pensée déjà formulée par le précédent ministère, vient de présenter un projet qui est une atténuation notable de la loi sur la presse, de cette loi par laquelle M. Nocédal compromettait l’an dernier l’existence du ministère Narvvaez. Le cabinet actuel propose de diminuer le chiffre exorbitant des cautionnemens ; il impose des conditions moins dures aux éditeurs. En un mot, sans cesser de maintenir des règles sévères, il adoucit jusqu’à un certain point le régime de la presse. Le cabinet de M. Isturiz entend rester dans les limites d’un libéralisme conservateur. L’esprit de réaction ne se tient point