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ou préoccupée, vous serez nécessairement, et quoi qu’il arrive, les maîtres de l’Orient, que vous, soyez ce jour-là en face de la débilité mourante de l’empire ottoman ou en face de la débilité naissante des petits états. À ceux qui disent que l’existence de l’empire ottoman est la combinaison qui donne le moins d’embarras et de soucis à l’Europe, je réponds que cette existence deviendra chaque jour plus difficile, comme celle d’un malade qui empire, qu’elle créera par conséquent chaque jour des embarras à ses patrons, que la moindre insurrection, la moindre émeute orientale deviendra une question européenne. J’estime fort le proverbe italien qui dit qu’on ne se tire pas d’une difficulté sans difficulté ; mais, cela veut dire qu’il faut tâcher de substituer la difficulté moindre à la difficulté majeure : or de toutes les difficultés orientales le maintien intégral de l’empire turc est la plus grosse.

J’ai lu, il y a déjà longtemps, un poème en vers latins sur la chute de Constantinople en 1453, fait par un Italien nommé Pusculo : il avait été un des défenseurs de la ville, prisonnier des Turcs, esclave pendant quelque temps ; enfin il avait été racheté, et il employa les loisirs de sa vieillesse à raconter en vers assez mauvais, mais fort curieux, la chute de l’empire grec et les causes de cette chute. Ce poème semble avoir été écrit hier, tant il s’applique exactement à l’état de la Turquie, tant l’agonie de la Constantinople chrétienne ressemble à l’agonie de la Constantinople musulmane. Une des causes principales de la chute des Grecs en 1453, c’est qu’ils a’ont jamais pu croire que l’Europe consentirait à laisser Constantinople tomber aux mains des Turcs. Nous n’avons pas besoin, disaient les Grecs, d’implorer l’Europe ni d’acheter son alliance par aucune concession ecclésiastique. L’Europe sait qu’elle est perdue, si Mahomet est maître du Bosphore : elle nous défendra par nécessité, et son intérêt nous répond de son zèle à nous secourir. Notre destin, quel qu’il soit, fixera le destin de l’Europe :

… Medios certaminis hujus
Queis regnum Europae caderet fortuna datores
Nos posuit…


Les Grecs avaient raison : ils devaient en mourant nommer le maître de l’Europe, et peu s’en fallut en effet que la chute de Constantinople ne rendît Mahomet II maître de l’Europe. Pendant plus d’un siècle, la conquête turque a menacé l’Occident ; mais les Grecs aussi se trompaient à force d’être bons politiques. L’Europe avait assurément un grand intérêt à sauver Constantinople du joug des Turcs ; mais l’Europe en même temps était fatiguée d’avoir toujours à sauver un empire toujours expirant : de plus, l’Europe au XVe siècle