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de sauver l’empire turc par le seul moyen qui puisse le sauver ; mais en face d’une rivalité quelconque il redevenait purement et simplement le protecteur des Turcs, parce qu’en lui l’Anglais non contrarié avait toutes les grandes qualités de son pays, tandis que l’Anglais contrôlé et rivalisé avait aussi toutes les orgueilleuses impatiences et toutes les duretés de son pays. L’intervention de l’ambassadeur d’Angleterre fit sortir de prison les gens de Vrania, « et on les conduisit devant un des membres du conseil qui les engagea à transiger avec Soliman et à sacrifier les intérêts de leurs cliens moyennant une indemnité de 500,000 piastres qu’ils pourraient se partager entre eux, les menaçant en outre des dernières rigueurs, s’ils n’acceptaient sur-le-champ la proposition qu’on leur faisait par amitié pour eux. Ils répondirent qu’ils voulaient être jugés en vertu du tanzimat, et qu’ils préféraient la mort à la trahison… Peu de jours après, ils furent admis à comparaître à genoux devant le conseil de justice, tandis que le coupable s’étalait complaisamment sur le divan à côté des juges. La plainte ayant été renouvelée, le président fit décider qu’une commission serait envoyée à Vrania pour examiner de nouveau toute l’affaire, et depuis il n’en a plus été question. On a dit seulement que Soliman-Bey avait dû abandonner plus de 3 millions de piastres (750,000 fr.) à la commission chargée d’apurer ses comptes[1]. » Ici, le péché capital que le conseil suprême tâche de maintenir en possession, c’est l’avarice, et il le protège en s’y associant.

Sous le titre de quatrième exemple de justice turque, M. Henri Mathieu raconte l’histoire du matelot grec tué en 1856 par deux officiers tunisiens. Les deux officiers furent absous, mais un Algérien, qui avait déposé contre eux, fut traîné deux fois en prison, et délivré deux fois par l’intervention de l’ambassade française, qui réclama une indemnité pour l’Algérien victime de ces violences arbitraires. L’Algérien, qui, à titre de musulman, connaissait d’instinct la Turquie, se hâtait de liquider ses affaires pour retourner en Algérie, quand il fut assassiné « dans des circonstances, dit M. Mathieu, qui prouvent simplement que les moteurs du crime n’ont pas osé en affronter la responsabilité devant l’Europe[2]. »

Les formes du code pénal sont parfois pratiquées contre un Turc accusé d’un délit quelconque, mais elles ne sont pratiquées que pour sauver le coupable ; malheur aux rayas qui prendraient ces formes au sérieux et qui viendraient déposer contre un Turc ! M. Mathieu raconte que « des musulmans accusés d’assassinat sur des militaires français furent traduits en jugement, qu’un raya grec qui osa déposer contre eux fut arrêté en sortant du tribunal, et que l’intervention

  1. La Turquie et ses différens peuples, pages 228-229-230.
  2. Ibid., page 232.