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hatti-hwnayoun de 1856 a suffisamment démontré qu’elles n’avaient rien produit[1]. » Suit alors ce que M. Henri Mathieu appelle des exemples de la justice turque. Ici, c’est un Turc qui tue un chrétien d’un coup de bâton sur la tête ; le juge, après avoir examiné l’instrument, prononce que « le bâton est trop léger pour que le raya soit mort du coup sans une volonté directe de la Providence à laquelle il n’appartient pas aux hommes de s’apposer[2]. » Ce jugement, qui fait intervenir si à propos la Providence, a pour but évidemment de ne pas exproprier le péché capital qui s’appelle la colère du droit de frapper jusqu’à la mort, pourvu, bien entendu, que le frappant soit musulman, et que le frappé soit chrétien. Là, ce sont soixante-dix jeunes filles bulgares qui allaient moissonner, et qui sont entourées par des musulmans du pays. Ils en prennent vingt-sept qu’ils emmènent. Les autres s’enfuient. « Les autorités turques ne purent ou ne voulurent rien découvrir Par contre, une jeune fille ayant tué d’un coup de hachette un musulman qui voulait abuser d’elle, et s’étant cachée ensuite, les vingt-deux notables de son village furent arrêtés et envoyés à Constantinople, où quinze d’entre eux moururent en prison dans un seul hiver. Les sept autres furent renvoyés sans jugement, mais non sans rançon, en 1854[3]. » On voit ici quel est le péché capital, pourvu toujours qu’il soit musulman, que les autorités turques ne veulent point déposséder de son droit de possession.

Ailleurs, en 1848, les habitans du district de Vrania députent au conseil suprême onze de leurs notables et le doyen de leurs pasteurs pour se plaindre des exactions et des déprédations de Soliman-Bey, fils du trop célèbre Hussein-Pacha. Celui-là avait amassé une fortune de plus de 100 millions de piastres. Le fils, venu dans des temps moins favorables, n’avait encore que 10 millions de piastrés. « Les plaignans, munis de toutes leurs preuves, arrivent à Constantinople et déposent leur plainte ; mais des distributions d’argent avaient déjà gagné à la cause du déprédateur les principaux membres du conseil suprême. Le président, pour sa part, avait reçu 100,000 piastres ; X.., à cause de sa parenté avec un célèbre réformateur, en avait touché 200,000 ; d’autres avaient été rétribués au prorata de leur importance. Les délégués attendirent pendant quatre ans, et trois d’entre eux moururent à la peine. » Ils furent même jetés en prison sans vivres et sans couvertures, sans effets d’aucune sorte, et ils y seraient morts de froid ; mais l’ambassadeur d’Angleterre intervint. Lord Redclifle à Constantinople, quand il ne trouvait pas d’influence rivale, protégeait efficacement les chrétiens, afin

  1. La Turquie et ses différens peuples, t. II, p. 209.
  2. Ibid., page 225.
  3. Ibid., page 227.