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lieu de compter pour vivre sur le rançonneraient perpétuel du chrétien, s’il était moins adonné à la mollesse et à l’oisiveté, s’il cherchait à s’instruire sincèrement, la société turque se relèverait. Alors elle pratiquerait le Coran, et alors aussi elle pratiquerait la réforme, l’un ou l’autre ou tous les deux, et cela sans hatli-humayoun sans cesse renouvelés. Ne nous y trompons point en effet. Ce qui la rend incapable de pratiquer la réforme la rend aussi incapable de pratiquer le Coran, et réciproquement. Elle succombe, non point parce qu’elle n’a plus assez de ferveur musulmane, ou parce qu’elle n’a pas assez de persévérance dans la réforme ; elle succombe parce que les vices ont pris le dessus sur les vertus, parce que le mal l’emporte sur le bien, parce qu’enfin l’équilibre moral, qui fait vivre les nations comme les individus, est rompu. Les jeunes gens qui commencent à étudier l’histoire attachent une extrême importance aux lois et aux institutions. Peu à peu on s’aperçoit que les mœurs des hommes ont plus de poids dans la destinée des peuples que les lois et les institutions publiques. On revient de l’état à l’individu, et de la question politique à la question du plus ou moins de péchés capitaux. C’est ce plus ou moins qui décide de tout pour les peuples comme pour les individus.

Pourquoi, par exemple, en Turquie la réforme tant de fois proclamée n’est-elle pas pratiquée ? Écoutons M. Viquesnel ou M. Henri Mathieu et nous verrons que chaque inexécution des maximes de la réforme est causée par quelque péché capital qui est en possession, de quelque abus social, et qui ne veut pas se laisser exproprier.

Les mesures législatives adoptées par le gouvernement d’Abdul-Medjid sont, dit M. Viquesnel, « le code pénal de 1840, — le code administratif de 1846, — le code de commerce de 1850[1]. » Le code pénal de 1840 « cherche à détruire les causes les plus apparentes de la décadence, c’est-à-dire l’absence complète de garanties légales, les confiscations, les emprisonnemens et les condamnations arbitraires » le vol organisé et la corruption dans toutes les branches de l’administration. » Ce code pénal a-t-il produit son effet ? M. Viquesnel fait suivre ordinairement l’analyse qu’il fait des codes et des ordonnances de réforme par cette phrase qui devient une sorte de refrain : « Ces dispositions sont très bonnes en elles-mêmes, mais malheureusement elles sont inexécutées. » Nous trouvons dans M, Henri Mathieu de tristes et curieux détails sur cette inexécution du code pénal de 1840 ; « Ces institutions hâtives, dit M. Henri Mathieu, n’avaient pas plus de sens chez les Turcs que n’en aurait une académie des inscriptions et belles-lettres chez les Peaux-Rouges, et le

  1. Voyage dans la Turquie d’Europe, p. 224.