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réel du pays. Ces témoignages s’accordent avec ceux de Mgr Mislin, et nous ne voyons pas en quoi sur ce point le partisan de la Turquie diffère de son censeur. Les conclusions sont opposées, les observations sont les mêmes. Maintenant que nous connaissons d’après M. Viquesnel lui-même les maux du pays, voyons quels remèdes M. Viquesnel croit qu’on peut employer et quels effets il en attend.

Selon M. Viquesnel, la réforme doit guérir tous les maux de la Turquie. — Oui, si la réforme est exécutée ; oui, si la réforme est exécutable ; oui, si les sultans et les grands la veulent ; oui, si le peuple la veut. Il ne faut pas moins en effet que toutes ces conditions pour la guérison de la Turquie, et si une seule manque, tout devient impossible. Peut-être remarquera-t-on que parmi les obstacles à la guérison de la Turquie, je ne compte ni le Coran ni les ulémas, Voici pourquoi : sur le Coran, M. Viquesnel m’a presque converti. Le Coran, dit-il, s’accorde avec la réforme ; il l’avait, pour ainsi dire, prévue et préparée. Sur les ulémas, M. Henri Mathieu les défend si bien contre M. Viquesnel, qui les attaque, que je suis disposé à les croire innocens des maux de la Turquie.

Un mot pourtant sur ces deux points, le Coran et les ulémas, avant d’en venir aux obstacles qui font que la réforme n’est ni exécutée ni exécutable en Turquie.

Selon M. Viquesnel, « les principes religieux du Coran, qui aboutissent à la connaissance d’un Dieu unique et repoussent tout symbole, conduisent, en morale et en politique, aux doctrines les plus libérales et les plus progressives. Tous les principes essentiels des démocraties modernes y sont non pas seulement contenus en germe, mais exprimés de la manière la plus formelle. » En parlant ainsi, M. Viquesnel croit faire l’éloge du Coran ; mais fait-il l’éloge des démocraties ? C’est une autre question. Point de liberté politique en Turquie, M. Viquesnel l’avoue ; « mais quelle égalité dans les institutions et surtout dans les mœurs ! » C’est-à-dire que l’esclave devient vizir si le sultan le veut, et que le vizir aussi redevient esclave, à moins qu’il ne soit étranglé. Égalité de servitude, comme dans les troupeaux, où il n’y a pas un mouton qui soit destiné plus que l’autre à être tondu et à être mangé : ils le sont tous également. M. Viquesnel, qui ne tarit point sur les mérites du Coran, dit « que l’islamisme aboutit en religion à un spiritualisme comparable au spiritualisme chrétien, moins les symboles et moins l’église, en politique à l’égalité républicaine (il devrait dire moins la liberté), en morale à la pratique des vertus les plus pures. Le Coran n’est donc pas l’ennemi de la civilisation et du progrès. Le véritable ennemi des réformes, c’est la société religieuse telle qu’elle est parvenue à se constituer en Turquie, au mépris de ce même Coran, avec