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de la Turquie, sache donc bien de quoi il s’agit : il s’agit d’une véritable occupation industrielle de la Turquie ; sans cela, rien n’est faisable, et cette occupation industrielle, pour qu’elle ait quelque sécurité, doit s’appuyer sur une occupation quasi-militaire. Les stations doivent être des postes fortifiés, et la marche des convois doit sans cesse être protégée. Ce n’est pas seulement l’école polytechnique sous la forme des ponts et chaussées qu’il faut envoyer en Turquie pour y avoir des chemins de fer, c’est l’école polytechnique sous la forme de l’artillerie. Une industrie en Turquie qui ne sera pas toujours prête à faire le coup de fusil est une industrie impuissante et précaire. Ce n’est pas là le rôle que doit prendre l’industrie européenne.

Ce n’est pas seulement l’industrie qui en Turquie n’est et ne peut être pratiquée que par des étrangers. À Constantinople, toutes les institutions de charité et d’instruction sont fondées et entretenues par les Francs. Les manufacturiers du Liban, les lazaristes et les sœurs de charité travaillent plus efficacement à la régénération de l’Orient que les administrateurs de la Turquie réformée. Maintenant peut-on demander, quand tout se fait et ne peut se faire que par les chrétiens, peut-on demander que tout se fasse au profit des musulmans ? Peut-on créer à la Turquie un avenir sans elle et presque malgré elle ? Ces manufactures qui florissaient autrefois dans l’empire ottoman étaient les restes et les souvenirs de l’ancienne civilisation du pays ; tout cela venait de l’empire grec, héritier dégénéré, héritier cependant de la société grecque et romaine. Le gouvernement turc a mis quatre cents ans à dévorer ces restes d’activité et de prospérité. Tout est consommé aujourd’hui. Quant aux manufactures dirigées par des étrangers, elles font partie d’un avenir qui n’appartient pas à la Turquie, de sorte qu’à considérer l’industrie du pays soit dans le passé, soit dans l’avenir, la Turquie n’y est pour rien. Ce qui restait du passé, elle l’a fait dépérir peu à peu ; ce qui se prépare de l’avenir, elle le retarde et l’empêche.

Les détails que donne M. Viquesnel sur la perception des impôts et sur l’administration des finances expliquent la misère du gouvernement turc, de même que l’état de l’agriculture et de l’industrie explique la misère des individus. Les impôts sont affermés aux enchères, mais les enchères n’empêchent pas les marchés que fait la corruption. M. Viquesnel cite un remarquable travail de feu M. Cor, inséré dans cette Revue sur la réforme en Turquie au point de vue financier et administratif, et il tire de ce travail les faits suivans : « Un fonctionnaire du gouvernement s’est fait adjuger au prix de 1,700,000 piastres la ferme de la douane de la ville de B…, qu’il revendit sans bourse délier 2,500,000 piastres à une compagnie de