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Un abandon si général dans toutes les provinces de l’empire est d’autant plus déplorable que le territoire ottoman possède, dans son immense étendue, les climats les plus divers, les produits les plus variés,… et de plus un grand nombre de lacs et de fleuves navigables ou qu’il serait bien facile de rendre navigables, des baies et des golfes nombreux sur les six mers qui baignent ses rivages. Les Ottomans n’ont pas su jusqu’à présent tirer parti de cette position géographique incomparable[1]. » Comment l’agriculture ne languirait-elle pas ? Pour labourer, il faut des bras : or le Turc ne veut pas travailler ; comme il est de race maîtresse et dominante, le travail lui semble indigne de lui et bon pour les esclaves. Le raya grec, de son côté, n’a aucun intérêt à travailler, car il ne travaille pas pour lui ; il ne recueille pas les fruits de son travail, et surtout il n’en peut pas jouir. S’il devient riche par grand hasard, il est forcé de cacher sa richesse ; s’il la montre, il est dépouillé et miné par le pacha ou par le cadi. « Un aubergiste raya, dit M. Viquesnel, qui n’avait à disposer en faveur des voyageurs que d’une seule pièce au rez-de-chaussée, très étroite, sale et humide, voulut bien en 1847 nous loger dans son salon de famille. Les tapis et l’ameublement de ce salon annonçaient l’aisance, et formaient un singulier contraste avec les châssis garnis de papier huilé qui servaient de clôture aux fenêtres. Nous lui demandâmes pourquoi il ne faisait pas les frais de croisées vitrées. — Si je substituais le verre au papier, répondit-il, on me croirait très riche, et on doublerait mes impôts[2]. »

« Dans l’Asie-Mineure, dit M. de Tchihatchef, cité par M. Viquesnel, sur la plupart des plateaux, le désert commence presque à la sortie des villes : on rencontre de loin en loin, échelonnés parfois à des distances de neuf ou dix heures de marche, des villages dont l’aspect misérable contraste péniblement avec la richesse de la végétation qui les entoure. Dans la contrée montagneuse, les plus fertiles vallées offrent également des étendues considérables de terrains incultes[3]. » Dans le district d’Andrinople, en Thrace, « l’agriculture s’étend rarement à deux lieues de distance d’un village. Cette observation locale de M. Vernazza, un des plus anciens consuls européens d’Andrinople, peut être généralisée, dit M. Viquesnel, et s’applique à toutes les provinces de la Turquie d’Europe[4]. »

J’aurais mauvaise grâce à vouloir confirmer par le témoignage d’un simple touriste les savantes observations de M. de Tchihatchef

  1. Ibid., page 265-266.
  2. Ibid., page 265.
  3. Ibid., page 274.
  4. Ibid., page 283.