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les plus perfectionnés, serait promptement en état de lutter avec l’Occident pour les produits similaires. Sous cette double impulsion, le commerce s’élèverait au plus haut degré de prospérité et répandrait l’aisance dans toutes les classes de la société. Désormais le trône du sultan, entouré de trente-six millions de sujets, tous également intéressés à sa conservation, défierait les projets ambitieux des puissances de l’Europe[1]. » N’êtes-vous pas touché de ces nombreux et magnifiques conditionnels qui peignent la grandeur et la prospérité possibles de la Turquie ? Eh bien ! prenez le contre-pied de tout cela, et vous aurez l’état réel et présent de la Turquie, tel que M. Viquesnel l’expose lui-même. Mais avant d’en venir aux observations et aux récits de M. Viquesnel, si contraires à ses espérances, je veux ajouter un dernier trait au tableau éventuel de la Turquie réformée, parce que ce dernier trait montre quelle foi sincère M ; Viquesnel a dans l’avenir des réformes de la Porte-Ottomane. « Lorsque la mise à exécution des réformes projetées aura donné au gouvernement du sultan la sympathie de toutes les populations chrétiennes de l’empire, la Porte pourra à son tour devenir agressive et faire une propagande redoutable, dirigée à son gré contre la Russie ou contre l’Autriche. Et dans cette hypothèse il est assez probable que cette propagande, habilement conduite, aurait pour résultat la réunion sous le sceptre ottoman de plusieurs des races dont les membres, aujourd’hui séparés, vivent sous les lois des trois puissances voisines[2]. » Quel avenir s’il était vrai, quel avenir pour la chrétienté ! Heureusement ici encore, pour avoir la vérité du présent, prenez le contre-pied de l’avenir décrit par M. Viquesnel. La Russie, l’Autriche et la Grèce (car c’est la Grèce, toute faible qu’elle est, qui est la troisième voisine menacée de la Turquie), la Russie, l’Autriche et la Grèce peuvent se rassurer.

Cherchons maintenant dans le Voyage dans la Turquie d’Europe quelques preuves de l’état actuel du pays. Cherchons par exemple si l’agriculture fleurit ou dépérit, si l’industrie et le commerce font des progrès ou s’ils déclinent, si la population turque augmente ou décroît. « Tous les voyageurs qui parcourent les diverses provinces de la Turquie d’Europe s’accordent à tracer un tableau pénible du délaissement d’une partie du sol, qui contraste avec sa fertilité naturelle. Les pierres et les mauvaises herbes encombrent souvent de grandes étendues de terrain… Si de l’Europe on passe dans les provinces asiatiques de l’empire, on ne trouve guère de traces de culture que dans les plaines les plus riches et les vallées les plus fertiles.

  1. Voyage dans la Turquie d’Europe, p. 427.
  2. Ibid., page 408.