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effet ? Et comment le pourrait-il, si l’avenir, n’existe pas encore ? Il a conjecturé ce qu’il prédit, il affirme hardiment sa conjecture : l’événement la confirme, et il aurait fort bien pu ne pas s’y accommoder ; puisque cent fois pour une les assertions du crisiaque ont été vaines. S’il lui arrive de rencontrer juste, ce n’est pas qu’il ait percé le mystère de l’avenir, c’est que le fait s’est ajusté à son assertion. Avant de trop admirer, faites exactement le décompte des cas où son délire l’a trompé, et « au lieu de recourir au merveilleux pour rendre raison du peu qui reste, il sera plus sensé de dire avec Aristote : Si vous lancez Beaucoup de flèches, vous finirez toujours par attraper quelque chose. »

Telles sont sur les phénomènes les mieux constatés de l’extase morbide les assertions mesurées autant que justes de la science actuelle. Ce qu’elle en dit, elle l’a appris de la psychologie et de la physiologie à la fois. Sachons enfin ce que l’une et l’autre lui ont enseigné touchant la nature et les causes de l’état appelé magnétisme animal ou somnambulisme artificiel.

Ce n’est pas ici le lieu de raconter l’histoire anecdotique et critique du magnétisme animal depuis Mesmer jusqu’à ces derniers temps[1]. Ce que nous avons à rechercher, c’est si l’extase somnambulique diffère essentiellement du véritable sommeil. Certains partisans du magnétisme, sinon tous, voient entre le somnambulisme dans le simple sommeil et le somnambulisme magnétique cette différence capitale que celui-ci est produit par l’action d’un fluide magnétique. Le premier tort de ce fluide aux yeux de la science, c’est que l’existence n’en est rien moins que démontrée. Au nom de quelle autorité proclame-t-on cette cause mystérieuse ? C’est, dit-on, que les somnambules en ressentent eux-mêmes l’invasion, l’action, les effets. À la bonne heure ; mais un somnambule n’est pas précisément un témoin irrécusable ; c’est un halluciné. Si vous en croyez son dire, il vous faudra ajouter foi à la parole du maniaque qui affirme qu’il a dans son ventre un monstre quelconque. La seconde preuve que l’on apporte de la réalité du fluide, c’est qu’il est jeté, dardé dans le corps du sujet par les passes du magnétiseur : Je ne puis douter des passes, mais le fluide est moins certain. Ni le serpent qui fascine l’oiseau, ni le dompteur de bêtes qui domine un lion, n’ont besoin de disposer d’un fluide. La peur suffit à enchaîner les membres d’un animal ; elle paralyse les nerfs de l’homme lui-même. Que l’ascendant du magnétiseur soit grand, que l’imagination du somnambule le fasse plus grand encore et prépare ses organes à le subir en voilà assez : la

  1. On peut consulter sur cette histoire le très intéressant et à mon gré trop petit livre de M. E. Bersot.