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Si la prescription du crisiaque suppose et contient davantage, si elle s’adresse non à un mal qui lui soit propre, mais à la maladie d’autrui, pariez presque à coup sûr que ce qu’il s’imagine inventer à l’instant même, il l’avait autrefois appris, et qu’il ne fait que s’en souvenir. Les crises nerveuses en effet communiquent à la mémoire une rare énergie, grâce à laquelle un détail longtemps oublié revient soudainement à l’esprit et fait l’illusion d’une science sur-le-champ devinée. Le docteur Bertrand en rapporte un exemple qui est à noter. Une somnambule, dit-il, ayant ordonné une tisane en termes peu communs, l’assistance admira l’intelligence qui lui avait révélé à la fois et le breuvage et la formule. L’étonnement redoubla à son réveil, quand elle déclara elle-même ne rien entendre à son ordonnance. Chacun criait au prodige, lorsqu’entra une dame qui dissipa d’un mot l’erreur et l’étonnement. Elle raconta que, encore enfant, la somnambule, fille d’une femme herboriste, avait cherché dans la campagne avec sa mère les plantes qu’elle venait de nommer doctement, et qu’elle-même avait accompagné la mère et l’enfant dans leurs recherches. La prétendue divination de cette jeune fille n’était qu’un lointain souvenir évoqué, au milieu de la crise, par un effort de réminiscence.

Le don, généralement attribué aux crisiaques, de parler des langues étrangères qu’ils n’ont point apprises se réduit à peu près aux mêmes proportions et s’explique de la même manière que l’instinct des remèdes. Si cette langue, morte ou vivante, est un idiome véritable, cherchez bien dans le passé du crisiaque, et vous ne manquerez pas de reconnaître qu’autrefois, ici ou là, il a appris dans ses classes ou entendu et retenu sans étude quelques lambeaux de latin ou d’anglais qu’aujourd’hui, sous l’influence de l’exaltation nerveuse, il recoud et débite avec l’aplomb de la fièvre.

Les somnambules et les crisiaques peuvent, dit-on, prévoir l’avenir, et l’on en produit des exemples qui sont à confondre la raison. Il est des phénomènes de ce genre que la science ne prétend pas expliquer, il en est d’autres qui ne sont pas assez certifiés ; mais il y en a aussi, et de fort extraordinaires, qui, dépouillés des fausses circonstances dont la crédulité les enveloppe, rentrent dans l’ordre des faits scientifiques. L’homme dans l’état de veille connaît jusqu’à un certain point l’avenir et l’annonce parfois sans se tromper. Ses inductions, nous l’avons vu, il les continue dans ses rêves avec une spontanéité qui, si elles se vérifient, les rend plus dignes de remarque. Le somnambule et le crisiaque sont en cela semblables au dormeur. Comme à ce dernier, l’hallucination colorée, animée, sensible à l’égal de la réalité même, présente au crisiaque un tableau où il croit voir l’avenir à l’état de phénomène actuel. L’a-t-il vu en