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aliéniste ajoute qu’il ne faut pas confondre l’extase physiologique, qui ne trouble nullement la raison, et qui n’est que le plus haut degré de l’enthousiasme, la suprême puissance de la raison inspirée par l’amour, avec l’extase morbide, qui tantôt paralyse le corps tout entier en le jetant dans une torpeur invincible, et tantôt au contraire surexcite les organes au point d’en porter l’action et celle de l’âme qu’ils desservent à un degré d’énergie surprenant. Cette dernière espèce d’extase se produit également dans la catalepsie, l’hystérie et la manie. Les signes qui la caractérisent sont, entre autres, l’insensibilité absolue, l’exaltation prodigieuse des facultés de l’esprit, le déplacement des sens, la vue à distance sans le secours des yeux, la prévision, l’instinct des remèdes et le pouvoir de parler des langues étrangères ou inconnues. Relativement à ces faits, la science se pose deux questions : Sont-ils certains ? Ont-ils une suffisante explication dans les lois de l’union de l’âme et du corps ?

Quelque extraordinaires que soient les phénomènes de l’extase morbide sous ses formes variées, ils sont généralement mieux constatés qu’expliqués. À moins de nier l’évidence, on est forcé d’en admettre un grand nombre qu’attestent les plus recommandables autorités. Parmi ceux dont la certitude est démontrée, la science actuelle en explique facilement quelques-uns par l’influence du corps sur l’âme et de l’âme sur le corps. Elle estime que la plupart ont leurs analogues dans les phénomènes ordinaires du somnambulisme naturel, du sommeil et même de la veille, et elle en conclut que ni le corps ni l’âme n’y échappent aux conditions de leur nature.

C’est par exemple un éternel sujet d’étonnement et d’hypothèses ingénieuses que le spectacle de l’insensibilité des cataleptiques. On ne peut croire que la nature aille jusque-là. Tout le monde sait que l’on pince un cataleptique, qu’on lui enfonce des épingles dans la chair qu’on lui brûle la peau avec un fer rouge, sans qu’il manifeste la moindre douleur. M. Bersot cite[1] une jeune fille de vingt-trois ans, Jeanne Mouler, convulsionnaire, qui, debout et le dos appuyé contre la muraille, recevait dans l’estomac et dans le ventre cent coups d’un chenet pesant de vingt-neuf à trente livres. Un jour les coups qui n’avaient pu que la soulager, appliqués de la même force contre un mur, y firent une ouverture d’un demi-pied de large. Voilà qui semble tenir du prodige. Cependant, si de tels faits sont rares, jetons les yeux autour de nous : nous remarquerons chaque jour des phénomènes analogues à ceux-là et que pourtant nous ne rapportons point à des causes surnaturelles. Les exemples d’insensibilité sont très fréquens dans la vie normale, éveillée ou endormie. Duhamel et

  1. D’après Carré de Montgeron.