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éclairé que par son imagination et n’est conduit que par l’habitude. Il est au moins probable qu’il trouve un utile auxiliaire dans tel ou tel de ses sens momentanément éveillé et que, parmi les perceptions que ce sens lui apporte, inattentif à celles qui lui sont indifférentes, il tire parti de celles qui se rattachent à l’objet de sa préoccupation. C’est tantôt le goût, tantôt la vue, tantôt l’ouïe, qui s’éveille ainsi et s’exerce un instant. Le somnambule Castelli fut surpris un soir traduisant de l’italien en français, cherchant des mots dans un dictionnaire et paraissant s’éclairer d’une lumière placée sur sa table. On éteignit cette lumière, aussitôt il alla en tâtonnant la rallumer à la cuisine sans s’apercevoir que la chambre était éclairée par des chandelles autres que la sienne. Ainsi il avait vu la clarté de la sienne, et non celle des autres, dont il n’avait su que faire. Il semble donc que le somnambule puisse à la fois voir et ne voir pas, — voir ce qui l’intéresse, non le reste. De tels faits ne sont certes pas en faveur de l’hypothèse d’une seconde vue. Avant de supposer dans l’homme l’existence de sens nouveaux, sachons d’abord exactement tout ce dont sont capables les sens ordinaires, soit qu’ils agissent isolément, soit qu’ils se prêtent un mutuel secours.

On serait moins pressé d’accorder aux somnambules des facultés supérieures et en dehors de la nature, si l’on se hâtait moins de les proclamer infaillibles. Aucun homme éveillé n’est à l’abri de l’erreur : comment un homme endormi le serait-il ? Et, en fait, les somnambules n’ont pas le privilège d’infaillibilité. « Le somnambulisme n’est qu’une particularité du sommeil ordinaire, dont quelques-uns des accidens les plus simples et les plus fréquens prennent des proportions inaccoutumées[1]. »

Mais il est un autre somnambulisme que celui qui commence et s’achève dans le simple sommeil ; il est des états organiques autres que le somnambulisme ordinaire, et qui placent l’âme dans des conditions différentes de celles de la veille. Nous n’aurions pas noté tous les récens progrès de la science des rapports de l’âme et du corps, nous en négligerions le côté le plus nouveau et le plus curieux, si nous omettions de dire quelles analogies cette science constate entre le sommeil et l’extase morbide, et quelles lumières elle en tire pour l’explication de quelques-uns au moins des phénomènes que présentent certaines crises nerveuses. « Il suffit de la plus simple érudition, dit M. Brierre de Boismont, pour reconnaître l’extase chez les pythonisses de l’antiquité, les initiés aux différens mystères, les sectes fameuses du moyen âge, les possédés, les convulsionnaires, les trembleurs, les crisiaques, les illuminés[2]. » Mais le savant

  1. M. A. Lemoine, du Sommeil, p. 265.
  2. Des Hallucinations, p. 267.