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borna à fermer désormais pendant la nuit la cellule du religieux somnambule. Son devoir s’arrêtait là.

C’est qu’en effet le dormeur ne s’appartient plus. Il ne sait plus au juste s’il est dans le vrai ou dans le faux, s’il fait le bien ou le mal. C’est toujours un être libre, mais qui se repose, comme le disent MM. Lélut et Charma, et dont le repos consiste, non à ne plus penser ni à ne plus sentir, mais à ne plus vouloir, et surtout à oublier ses peines. Son sommeil est une veille encore, mais une veille machinale, sans fruit pour la vertu et ordinairement pour la vérité. L’esprit, selon ses lois naturelles, n’est fécond que dans l’action libre, ou dans cette inspiration virile que la liberté a préparée par le travail, méritée par la vertu de l’effort, et dont elle gouverne les élans.


III

On le voit : si, pendant le sommeil, l’ange veille encore, c’est en subissant plus que jamais le joug de la bête, qui habituellement l’empêche de déployer ses ailes, et qui ne l’enlève quelquefois de terre et ne le fait voler un instant vers la lumière que pour le laisser retomber bientôt en bas et dans les ténèbres.

Dans le somnambulisme, les crises nerveuses et l’extase magnétique, l’âme ne porte pas moins le poids de son corps que quand elle dort son vulgaire sommeil de chaque nuit. Ces états ne la font ni plus noble, ni plus capable de pénétrer l’avenir impénétrable. Ils ne font qu’augmenter sa fièvre et enflammer son délire ; de là ces vifs éclairs d’intelligence si passagers, et mêlés de tant d’erreurs, de là encore chez le somnambule cette activité précise et industrieuse qui nous étonne. Brillant ou vulgaire toutefois, un rêve est toujours un rêve, et le dormeur, sauf de bien rares exceptions, est une âme devenue le jouet de son corps. Voilà ce que la philosophie spiritualiste croit pouvoir affirmer. Nous avons dit que le sommeil était une moindre veille ; la science arrivera sans doute à prouver que le somnambulisme et l’extase ne sont en quelque sorte qu’une surexcitation du sommeil.

Et d’abord, dans le simple sommeil, le somnambule n’a pas d’autres facultés que le dormeur ordinaire ; seulement il les exerce plus habilement, par l’effet d’une plus grande irritabilité nerveuse. Les faits semblent d’abord contredire une pareille assertion et mettre entre le simple dormeur et le somnambule d’extrêmes différences. Voici, entre autres, un exemple de somnambulisme cité par le docteur Bertrand. Gassendi avait pour valet un jeune homme qui se levait la nuit, descendait à la cave et tirait du vin. D’autres fois il allait à la salle à manger, dressait la table, mettait le couvert, faisait tous les préparatifs d’un repas et servait d’imaginaires convives ;