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et dans les comptes-rendus de la Société médico-psychologique. Je me borne à dire en passant, et par esprit de justice, que sur le phénomène si important de l’hallucination la physiologie est, jusqu’ici du moins, en avance sur la psychologie.

Après avoir déterminé le rôle du corps dans la vie endormie, les récens observateurs ont décrit celui de l’âme, et selon moi avec une grande exactitude, quoique la tâche fût difficile, car l’histoire des songes peut facilement tourner au roman. Voici les faits intéressans qu’ils ont éclaircis : l’âme est passive dans le sommeil parce qu’elle subit la loi des organes, qui lui transmettent des sensations qu’elle n’a pas cherchées et qu’elle ne peut éloigner ; mais elle est active aussi, d’une activité qu’il importe de reconnaître sans l’exagérer. En présence des élémens que ses organes lui imposent, loin de rester oisive, elle déploie une certaine énergie. Elle prend tels quels les débris de sensations qui lui arrivent, y ajoute ses souvenirs anciens ou récens, et avec ces vagues perceptions du présent, ces lambeaux du passé, avec ces couleurs criardes et ces formes sans rapport et sans analogie, elle compose des tableaux où il y a quelque unité, des scènes où il y a quelque suite. Son œuvre, ainsi cousue de cent pièces diverses, n’est, si l’on veut, qu’un habit d’arlequin, mais enfin c’est un habit. Cette logique des rêves mérite l’attention parce qu’elle explique en grande partie les prétendus prodiges de certains états analogues au sommeil. Soutenue par la mémoire et par l’imagination et guidée par la mécanique de l’habitude, à propos d’une sensation actuelle, elle remet quelquefois l’esprit dans la voie où il marchait avant le sommeil, et l’y lance avec une puissance telle qu’il atteint, comme par enchantement, le but jusque-là vainement poursuivi. Voilà comment en songe Condillac achevait un chapitre de philosophie, Voltaire une ode, Tartini sa sonate du diable, et comment Franklin endormi découvrait le nœud longtemps cherché d’une affaire difficile.

Il est cependant un phénomène curieux où cette activité nocturne de l’âme éclate avec une force singulière. Les fausses sensations dont l’hallucination est la conséquence vont le plus souvent des nerfs au cerveau et du cerveau à l’âme ; mais quelquefois aussi c’est l’inverse qui a lieu. L’âme, en proie à une préoccupation violente ou seulement vive, peut à son tour exciter les nerfs, les mettre en jeu, les placer dans les conditions de la sensation, et y créer cette sensation dans toute son intensité. Alors l’esprit voit et entend en l’absence de tout objet visible et sonore. Ce phénomène se produit en pleine veille chez l’aliéné, et même chez les hommes dont la raison est saine. Ceux-ci peuvent croire à leur hallucination sans pour cela devenir fous. Seulement ils n’y croient pas d’ordinaire, ils ne s’en servent que pour se rendre matériellement présens les objets de leurs études