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laboureur brisé par sa rude journée, nous savons que les tempes et le pouls battent, que la poitrine se gonfle et s’abaisse régulièrement, et que par conséquent les fonctions de la circulation et de la respiration s’accomplissent pendant le sommeil non moins bien, et peut-être mieux, que pendant la veille. Aussi les physiologistes, qui ne l’ignorent pas, se gardent-ils de dire que le sommeil est la suspension des actes de la vie nutritive. Ils savent que les organes de cette vie ont d’autres moyens de se reposer, et que si leur mouvement s’arrêtait court, la mort s’ensuivrait. « La cause qui suspend la respiration et la circulation, dit Bichat, suspend et même anéantit la vie, pour peu qu’elle soit prolongée. » On voit par-là que, pendant le sommeil, les organes de la vie végétative veillent et continuent leur œuvre : sur ce point, les physiologistes ont raison et sont d’accord ; mais où ils se trompent, c’est quand ils définissent le sommeil « la suspension de la vie de relation. » Cette suspension n’est jamais complète. Nos yeux ont beau être fermés, le voile qui les recouvre n’est pas tellement épais qu’une lumière un peu vive ne les pénètre et n’arrive jusqu’à la rétine. Nos autres sens, relâchés, mais nullement défendus contre les impressions du dehors, demeurent soumis à l’action des choses extérieures et la ressentent souvent. « Il se peut quelquefois, dit Aristote, que pendant le sommeil on sente en partie le bruit, la lumière, la saveur, le contact, mais faiblement, il est vrai, et comme de très loin. » S’il en est ainsi, la vie de relation est chez le dormeur plutôt diminuée à un haut degré que suspendue, et surtout supprimée. À ce compte, le sommeil du corps n’est ni l’inertie ni la mort ; c’est la vie végétative tout entière et la vie de relation considérablement amoindrie, mais toutefois persistante.

Dans ce corps toujours vivant quoique engourdi, que fait l’âme ? dort-elle ? veille-t-elle ? Si elle dormait absolument, si tout s’arrêtait en elle, le penser, l’agir, le sentir, tout serait dit, et la psychologie du sommeil, n’ayant plus d’objet, serait impossible. Cependant l’âme rêve quelquefois ; rêver, c’est une manière de penser, et penser peu ou beaucoup, bien ou mal, c’est veiller. Il est donc incontestable que l’âme de l’homme endormi veille souvent ; aussi ne le conteste-t-on pas. Ce que l’on prétend, et le docteur Bertrand est de cet avis, c’est qu’il y a un certain sommeil, un sommeil complet, dans lequel toutes les fonctions de l’âme sont interrompues. Là est la difficulté sérieuse de la question. Tous les spiritualistes l’ont vue, et se sont efforcés de la résoudre. Y ont-ils réussi ? Pas tout à fait : ils en font eux-mêmes l’aveu. Néanmoins, s’ils n’ont pu démontrer rigoureusement qu’un sommeil absolu de l’âme est impossible, ils ont donné à cette thèse un haut degré de probabilité.

Quels faits les partisans du sommeil absolu apportent-ils en faveur de leur doctrine ? Un seul, et ce fait, c’est que si l’âme veillait toujours