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pauvre malade, ou un halluciné qui divague, au lieu d’être un oracle à consulter ? — Que penser enfin de ceux qui cherchent la dignité et la grandeur de l’âme immortelle dans ces états désordonnés plutôt que dans la veille libre et lucide ? — Si les deux sciences, éclairées l’une par l’autre, répondent beaucoup mieux aujourd’hui à ces questions qu’au temps de leurs hostilités, leur rapprochement est heureux et mérite d’être encouragé.


I

La science n’a pas à se demander si le corps de l’homme dort : la question serait puérile ; mais le sommeil du corps est-il l’absolu repos, c’est-à-dire l’inertie ? L’inertie d’un repos d’où la vie serait totalement absente se rencontre-t-elle quelque part dans la nature ? Telle est la première question que soulève l’étude du sommeil. La nuit qui étend son rideau de ténèbres entre nos yeux et la scène de l’univers semble en même temps condamner au silence et à l’immobilité les innombrables acteurs qui s’agitent sur cette scène tant que le jour l’éclaire. Comme tout se tait alors autour de l’homme, il croit que le sommeil s’est emparé de la nature entière ; mais personne ne confond ce sommeil des êtres avec une interruption absolue des fonctions de leur vie. Chacun le sent : dormir n’est pas mourir.

La science confirme cette pensée et la précise : elle dit quels êtres dorment, quels autres ne dorment pas ; elle dit déjà, et dira mieux encore plus tard, en quoi consiste le sommeil pour les uns et pour les autres. Elle affirme avec certitude que le sommeil n’est pas la mort, non pas même la mort momentanée, la mort d’un hiver, la mort d’une nuit.

Les êtres inorganisés ne vivent pas ; on ne peut donc dire ni qu’ils dorment ni qu’ils meurent. On ne voit pas qu’ils se reposent. Les astres roulent sans relâche, emportés à la fois et retenus dans leur orbite par une force infatigable. Dans les montagnes, au fond des cavernes, le rocher s’effeuille, la source filtre, la stalactite allonge ses pointes aussi bien la nuit que le jour. Au sein de l’obscurité ou à la pâle clarté des étoiles, la mer ronge ses rivages, le torrent se précipite, le fleuve coule sans trêve, soumis à la loi fatale de la pesanteur. « Mais peut-être, dit M. Lélut, qu’en y regardant, on trouverait que durant la nuit les actions des minéraux, ou plutôt l’action des fluides impondérables, des fluides électrique, magnétique, électro-magnétique, qui les traversent, les meuvent, les unissent ou les disjoignent, cette action est notablement diminuée[1]. » Peut-être.

  1. Dictionnaire des Sciences philosophiques, article Sommeil.