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des questions qui appellent le plus impérieusement le concours des deux sciences, la question du sommeil. L’homme endormi a cela de très remarquable que, même dans une situation régulière et saine, il est le modèle en raccourci de tous les états morbides de l’âme dont la physiologie a coutume de s’occuper. L’homme qui dort et qui rêve est le commencement d’un somnambule, puisque, malgré l’engourdissement partiel de ses organes, il parle, crie et remue ses membres ; — il est semblable à un crisiaque, puisqu’il partage jusqu’à un certain point son insensibilité physique et son exaltation intellectuelle ; — il est encore semblable à un somnambule magnétique, puisque parfois, comme celui-ci, il laisse sans s’éveiller un agent extérieur diriger son rêve ; — enfin il est semblable à un fou, puisqu’il est toujours halluciné, et, sauf quelques cas très rares, toujours dupe de son hallucination. Or ce type premier, quoique incomplet, de tous les états morbides de l’âme, chacun le porte en soi-même, car chacun dort, et peut par conséquent l’observer beaucoup plus aisément que le somnambulisme, les crises nerveuses et la folie. Ainsi quiconque veut procéder sagement, c’est-à-dire aller du plus simple au plus compliqué, et du connu à l’inconnu, doit étudier l’homme endormi avant de considérer le somnambule, le crisiaque et l’homme en démence. L’Académie des Sciences morales, qui a mis au concours la question du sommeil, et qui n’a point encore proposé celle de la folie, semble avoir implicitement indiqué cette marche. De leur côté, les physiologistes et les psychologues l’ont adoptée, — les premiers en faisant, comme M. Lélut dans son livre sur l’Amulette de Pascal, de l’analyse du rêve et des sensations nocturnes la préface de la théorie de l’hallucination, — les seconds, comme MM. Lemoine et a Maury, en cherchant dans le sommeil ordinaire l’explication du somnambulisme et des prétendus prodiges de l’extase magnétique. De toutes les questions mixtes posées à la fois par les deux sciences, celle du sommeil est donc non-seulement la première dans l’ordre méthodique, mais la première aussi dont les deux sciences aient abordé ensemble la solution. C’est là qu’il sera possible d’apercevoir dès à présent ce que peuvent la psychologie et la physiologie quand elles s’accordent.

Voyons donc comment elles répondent aujourd’hui aux questions suivantes que comprend l’étude du sommeil : Le corps et l’âme dorment-ils ou non d’un sommeil complet et absolu ? — Quelle est l’influence du corps endormi sur l’âme endormie et réciproquement, et quelle différence y a-t-il au juste entre dormir et veiller ? — Quel jour la connaissance du sommeil jette-t-elle sur les états mystérieux tels que le somnambulisme naturel, les crises nerveuses, l’extase magnétique ? Dans ces états, l’homme a-t-il des facultés extraordinaires qui lui dévoilent l’invisible ? n’est-il au contraire qu’un