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un grand malheur, un grand chagrin ; Allah est tout-puissant ! Ce dont j’ai à m’occuper maintenant, c’est de mettre les autres autant que possible à l’abri de pareilles catastrophes. Pour cela, il faut savoir d’abord s’ils sont morts naturellement ou par la main de cette terrible Zobeïdeh… Voyons. Elle-même avait quatre enfans, Maléka trois, Nafizé un et Ibrahima un. J’en ai perdu quatre, et j’ignore lesquels. Si leur mort est l’œuvre de Zobeïdeh, ce ne sont pas les siens qui ont succombé ; donc ce sont des siens qui survivent, et ceux-là ne courent aucun danger. Si au contraire ce sont les enfans de Zobeïdeh qui ont péri, cela prouve qu’elle n’est pour rien dans ce malheur, et je n’ai aucun motif pour lui retirer ni ma confiance ni mes enfans. Que faire ? En vérité je ne puis sans manquer à mes devoirs envers le padishah et envers mon révéré beau-père, quitter la place qu’ils m’ont accordée, et courir comme un fou à Stamboul pour m’informer de la santé de mes enfans. Non, je profiterai de la première occasion sûre, et je me procurerai des renseignemens précis sur l’état de ma famille ; en attendant pour ne pas perdre un temps précieux, je vais écrire à mon beau-père qu’il mettrait le comble à ses bontés en m’obtenant une place de gouverneur dans une province plus rapprochée de Stamboul.

Osman arrêta encore une autre résolution : ce fut de ne rien apprendre à Maléka de ces tristes nouvelles. Lui dire que quatre enfans sur neuf laissés à Constantinople avaient péri sans pouvoir lui apprendre que les siens étaient parmi les vivans, c’était lui causer d’insupportables angoisses sans avoir le moyen de les apaiser. D’ailleurs Maléka était souffrante, elle nourrissait un nouveau-né, et son état réclamait les plus grands ménagemens. Enfin une femme livrée à de poignantes inquiétudes est un spectacle attristant, et pourquoi s’attrister quand cela n’est pas absolument inévitable ? Ces raisonnemens étaient, à vrai dire, suffisans pour apaiser un cœur de père aussi peu sensible que celui d’Osman. Il y avait là cependant une inexactitude de calcul trop caractéristique pour que je la passe sous silence. Les enfans qui n’étaient pas nés de Zobeïdeh étaient au nombre de cinq, et ceux nés de Zobeïdeh n’étaient que quatre. En supposant donc (ce qui était vrai) que la mort eût attaqué le groupe des cinq, et eût employé pour frapper la main de Zobeïdeh, il restait un pauvre cinquième qu’Osman négligeait dans ses calculs, absolument comme les mathématiciens négligent les fractions décimales de sixième ou de septième ordre dans les calculs de logarithmes. N’importe, Osman ne visait pas à une exactitude plus grande, et il se tint pour satisfait. Seulement il écrivit sans tarder à son beau-père pour le prier de lui obtenir une place plus rapprochée de la capitale. Celui-ci considéra la demande de son gendre comme une démarche dictée par une louable ambition, et il adressa