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pas à ces terreurs par de nouveaux crimes. Me le promets-tu ?

Elle se taisait depuis quelques instans, et Zobeïdeh croyait l’entendre encore. Agenouillée au chevet de la mourante, la tête cachée entre ses mains et appuyée contre le lit, la Circassienne faisait son examen de conscience avant de s’engager par une promesse si difficile à observer. — Encore si en prenant cet engagement je la sauvais,… je la conservais… Et elle allait sans doute lui proposer ce marché : Vis, et je renonce au crime ! — Insensée ! une mortelle peut-elle faire de pareilles conditions ? Et à qui les posait-elle ?

Tout à coup Zobeïdeh se releva en poussant un cri terrible. Kassiba était étendue sur ses oreillers, la face blanche comme la cire, les yeux fermés, la bouche entr’ouverte comme pour un dernier sourire. Zobeïdeh avait perdu Kassiba, et personne n’était plus là, pour recevoir la promesse qu’elle eût peut-être faite.


III. — LA VIEILLESSE D’UN PACHE.

Je voudrais pouvoir finir ici cette histoire : après de si terribles scènes, tout, même les remords de Zobeïdeh et le désespoir de Maléka, doit paraître pâle et froid ; mais ce que j’ai dit de la connaissance fortuite que je fis de la famille d’Osman-Pacha dans une maison de campagne en Syrie et longtemps après la mort des victimes m’oblige à ramener le lecteur à mon point de départ. Je n’ai plus de catastrophes à raconter ; les membres de cette famille qui survécurent à cette époque d’isolement pendant laquelle Zobeïdeh fut seule maîtresse absolue dans le harem déserté par Osman vivaient encore lorsque j’y fus admise. Ce qu’il me reste à montrer, c’est la décadence et l’affaissement de passions, de caractères et de tempéramens usés par leurs propres excès, sans avoir jamais subi le frein salutaire d’une loi morale. Le tableau n’est certes pas séduisant, j’en conviens, et l’art voudrait peut-être que je n’allasse pas plus loin ; cependant la vérité ne me permet pas de m’arrêter. Entre ces deux maîtres, c’est au second que j’obéis.

Nous avons laissé Osman, décoré du titre de caïmacan, cheminant vers sa nouvelle résidence, fier de sa nouvelle dignité, et satisfait d’échapper aux terribles regards de la jalouse Circassienne. À mesure qu’il s’éloignait de Stamboul et de sa famille, il sentait un bien-être indicible se répandre dans toute sa personne. L’idée de pouvoir admirer sans crainte et acheter au besoin toute belle fille qui se trouverait sur son chemin lui était particulièrement agréable. La compagnie de Maléka lui était précieuse. Son humeur égale le mettait toujours à l’aise ; son rare bon sens en faisait un conseil fort utile, et sa soumission parfaite aux volontés du maître coupait court à toute chance de discorde et d’orages domestiques.