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accordé de légitimes éloges au touchant morceau intitulé Τὸ Ψυχοσάϐϐατο (le Samedi des Morts). Le poète, oubliant un moment les gloires et les blessures de la patrie, s’abandonne au sentiment de ses propres tristesses. Une jeune enfant qu’il a perdue lui inspire un hymne de douleur dans lequel se révèle toute son âme. L’énergie, qui fait le fond du caractère hellénique, a parfois exposé les Grecs à se voir accusés d’insensibilité. On disait que, pareils à leurs pères, ils dédaignaient tout ce qui n’était pas la guerre ou la politique. Un tel reproche ne saurait être adressé à l’auteur des Μνημόσυνα. Il pourrait dire comme Térence que « rien de ce qui est humain ne lui est étranger ; » nil humani a me alienum puto.

Les chants du poète de Leucade ont un dernier titre à l’attention de l’Europe, et c’est sur ce point que j’insisterai en finissant. On ne saurait trop féliciter en effet M. Valaoritis d’avoir célébré d’une voix éloquente et sympathique cette belliqueuse Albanie, cette terre des vieux Pélasges, souche commune des Hellènes et des Latins. Je ne saurais, comme tant d’autres, déprécier les premiers pour exalter les seconds. Ces deux races illustres ont fait assez de grandes choses pour n’être jamais divisées par de vulgaires jalousies et de mesquines antipathies. Le monde ancien a été redevable de son admirable civilisation à l’union de leur génie et de leurs efforts. Pourquoi l’Orient ne devrait-il pas à leur concorde fraternelle une glorieuse résurrection ?

Dora d’Istria.