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à chaque offense par la mort, qui se vengeait du coupable sur l’innocent, qui, établie au sein d’une nombreuse famille, semait autour d’elle le crime et le désespoir, cette femme lui faisait horreur. Jamais elle n’avait entendu de récit pareil au sien, et elle s’interrogea plus d’une fois pour savoir si elle ne dépassait pas le vrai ; mais la voix inexorable de sa conscience repoussait ce doute, et lui criait : « Ce que tu ne peux entendre sans frémir, tu l’as fait naguère et tu le feras toujours sans éprouver ni regrets ni remords. » Et Zobeïdeh reprenait ses aveux, effrayée d’elle-même, mais décidée à tout souffrir pour sauver, s’il en était temps encore, l’enfant qu’elle aimait. Celle-ci s’était caché le visage aux derniers mots prononcés par la Circassienne, et elle sanglotait.

— Tu as remarqué peut-être, reprit Zobeïdeh, que depuis quelque temps les enfans ne me témoignaient plus la même tendresse que par le passé. Je m’en affligeais, car moi je les aimais toujours. J’attribuais leur refroidissement au caprice de leur âge, et j’étais loin de leur en garder rancune. Malheureusement, après la mort d’Ahmed, lorsque je me reprochais ma colère en me rappelant ses souffrances, lorsque je me promettais de ne plus frapper l’innocent, ton frère Ismaël me surprit pleurant auprès du cadavre de l’enfant. Pourquoi ne me laissait-il pas mon repentir ? Il m’accusa de feindre une douleur que je n’éprouvais pas, et quand je lui demandai pourquoi il me tenait ce langage, il me déclara d’un ton froid et sévère que tous mes crimes lui étaient connus, qu’en vain j’avais espéré le tromper comme j’avais trompé tout le monde, et qu’il me dénoncerait à ses parens, à son père surtout, qui me haïrait ! Pourquoi me parlait-il ainsi ? pourquoi venait-il au-devant de mes coups ? Allah l’aveuglait : Le faisait-il parler pour le perdre et me sauver ? Je me dis que je serais ingrate envers Allah et son saint prophète en refusant de profiter de leurs avis et de recourir aux moyens qui m’avaient toujours si bien réussi.

Tu ne l’as sans doute pas remarqué, mais je ne négligeai rien pour empêcher qu’Ismaël demeurât seul dans ses derniers momens avec une personne autre que moi. J’avais hâté de couper cette chaîne de révélations qui devait aboutir à ma ruine, si je la laissais se continuer. Le ciel en avait ordonné autrement. Quand je pensai qu’Ismaël n’était plus, je quittai cette chambre, où j’étouffais. Et lorsque j’y retournai, qu’y trouvai-je ? Ismaël encore vivant et faisant promettre à Dundush de me dénoncer à son oncle. Pouvais-je m’arrêter alors ? Pourquoi aurais-je épargné la vie de l’une après avoir sacrifié celle de l’autre ? J’étais allée trop loin pour m’arrêter avant de m’être mise à l’abri. Cette fois encore je pris toutes les précautions auxquelles je pus penser pour hâter la mort de Dundush et pour l’empêcher de me dénoncer ; hélas ! je m’aperçus bientôt