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fallait se hâter d’envoyer Dundush rejoindre ses frères, après quoi on manderait au palais le vieux parent, j’emprunte à Zobeïdeh ces expressions familières qui caractérisent l’état de cynique insensibilité où elle était tombée. Dès le lendemain, celle-ci ferait donc venir l’oncle d’Osman ; mais dès le lendemain aussi Dundush aurait cessé d’exister. L’opinion qui attribuait à une influence contagieuse des désastres si multipliés n’acquerrait de la sorte que plus de vraisemblance. En se retirant pour la nuit, Zobeïdeh s’attendait à être incessamment appelée dans la chambre où couchaient les quatre sœurs, les deux filles de Maléka, Zéthé et sa propre fille Anifé ; car le poison coulait déjà dans les veines de la petite Dundush, et elle avait donné des ordres pour qu’on l’appelât au moindre malaise de l’un des enfans. Les heures s’écoulèrent cependant, et aucun bruit ne se fit entendre. Enfin le jour parut. À peine les esclaves avaient-elles repris leurs travaux journaliers, que des voix confuses s’approchèrent de la chambre de Zobeïdeh, et que plusieurs des femmes, entrant précipitamment, lui annoncèrent la mort de la petite Dundush. — Morte ! s’écria la Circassienne en affectant la surprise, morte ! et n’avais-je pas recommandé hier au soir que l’on m’appelât au premier signe de maladie qui frapperait l’un des enfans ? — L’esclave s’excusa en disant que la pauvre petite n’avait voulu recevoir que les soins de sa sœur Kassiba, et qu’elle lui avait défendu expressément d’appeler qui que ce fût. — Sa sœur elle-même vous le dira d’ailleurs si vous allez la trouver, ajouta la femme, car la pauvre fille est si abattue qu’elle ne peut se soutenir sur ses jambes. — Zobeïdeh se hâta d’aller s’informer des événemens de la nuit. Dundush était étendue sans vie sur son petit lit, comme Ismaël et comme Ahmed l’avaient été avant elle. Auprès de la morte se tenait, pâle et frémissante, Kassiba, sa sœur, cette fille aînée de Maléka que Zobeïdeh semblait chérir plus que ses propres enfans.

Kassiba portait à Zobeïdeh un attachement passionné, et malgré la froideur qui s’était récemment glissée entre la jeune population du harem et Zobeïdeh, le cœur de Kassiba était toujours resté fidèle à sa première affection ; la pauvre enfant s’était même rapprochée d’autant plus de la Circassienne que les autres s’en éloignaient. Quant à celle-ci, entière et extrême dans ses sentimens, on peut dire, sans craindre de tomber dans l’hyperbole, qu’elle adorait Kassiba, toujours empressée à deviner et à satisfaire ses moindres désirs, tendre et caressante pour elle, et pour elle seule à ce degré. Jamais un mot dur ou vif ne lui avait été adressé par cette femme hautaine et impérieuse, perpétuellement rebelle à toute loi comme à toute autorité. Kassiba ressemblait à sa mère, non pas telle qu’elle était devenue après douze ans de martyre conjugal et domestique, mais telle qu’elle était lors de son arrivée dans la prison somptueuse