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Ahmed enfonçant son frais visage dans les plis du corsage de Zobeïdeh en protestant que sa sœur ne pouvait l’y découvrir, tandis que celle-ci soutenait que rien ne l’empêchait de le voir. Zobeïdeh était sombre, et pourtant elle sentait sur ses joues, sur son cou le souffle de ces petites créatures qui riaient en se querellant et qui entremêlaient leurs jeux et leurs querelles de caresses pour la femme d’Osman.

Des pas lourds et traînans se font entendre sur l’escalier en bois qui conduit à la grande salle où Zobeïdeh et les enfans sont assemblés. Est-ce Osman ? est-ce un messager qui lui annonce son retour ? Osman a-t-il entendu qu’elle l’appelait avec angoisse, avec désespoir ? C’était en effet un messager d’Osman, mais il apportait un cruel message : Osman ne pouvait laisser perpétuellement la Circassienne dans l’ignorance de ses projets, et d’ailleurs il ne s’inquiétait plus de l’effet que cette communication produirait sur elle depuis qu’il était assez loin pour n’entendre ni ses cris de désespoir ni ses reproches. Le messager lui expliqua donc de la part d’Osman que le bey lui avait caché le véritable motif de son absence pour éviter de pénibles adieux, que les médecins, ses amis et ses parens avaient exigé de lui qu’il essayât d’un nouveau climat, d’un nouveau séjour, qu’il s’arrachât à tout ce qui nourrissait en lui d’affreux souvenirs, enfin qu’il avait cédé à leurs instances avec l’espoir d’être bientôt en état de revenir auprès d’elle. En Europe, un mari ainsi placé eût tout expliqué par une lettre, mais je ne sache pas qu’en Turquie l’écriture soit employée à exprimer des sentimens. On n’y écrit guère que des formules de complimens et la simple indication des faits. La lettre qu’Osman avait écrite à Zobeïdeh ne contenait que quelques mots d’introduction pour son messager. Osman y engageait Zobeïdeh à ajouter foi à tout ce que le messager lui rapporterait de sa part, à prendre grand soin de sa santé et de celle des enfans, et à bénir le nom d’Allah !

Zobeïdeh comprit tout ce qu’Osman essayait encore de lui cacher. Il était parti pour la fuir, il l’avait trahie, il allait vivre loin d’elle parce que sa présence et son amour lui étaient à charge. Lorsque le messager eut fini son long discours, qu’il avait appris par cœur, le petit Ahmed poussa un cri et alla rouler sur le plancher. Zobeïdeh s’était levée brusquement, et, tout en retenant la petite fille de Maléka dans ses bras, elle avait abandonné le petit garçon. Le fils aîné de Maléka, qui pouvait avoir de huit à neuf ans, s’élança au secours du pauvre petit, et dit à Zobeïdeh, d’un ton de reproche et de colère : « Pourquoi as-tu fait du mal à mon frère ? » Zobeïdeh poussa un soupir, pâlit et secoua la tête. « Pourquoi me provoquez-vous ? murmura-t-elle à voix basse ; craignez-vous que je ne vous oublie ? »