Dans les périodes de tranquillité et de paix dont le harem d’Osman-Bey jouissait de temps à autre, la meurtrière se sentait comme possédée par un démon. Elle dissimulait ses tortures, elle se montrait calme et sereine, mais cette dissimulation même ajoutait encore à son supplice. Le silence du dehors lui était intolérable, car elle entendait alors distinctement les voix de ses victimes et de sa conscience ; les éclats de rire et les jeux des enfans prenaient des accens terribles à ses oreilles. Elle se demandait d’où lui venaient ces souffrances, et elle ne trouvait pas de réponse. L’étude eût pu lui apporter de salutaires distractions ; malheureusement ses études se rattachaient toutes à ses crimes, elles lui rappelaient constamment les meurtres commis, elles lui fournissaient même des moyens nouveaux pour en commettre d’autres.
Si Osman l’eût aimée, s’il fût revenu à elle, même passagèrement, peut-être un changement dans cette âme troublée se serait-il accompli ; mais, loin de revenir à Zobeïdeh lorsqu’il n’en était pas distrait par de capricieuses amours, Osman s’en éloignait de plus en plus. La douce et consolante société de Maléka n’était pas suffisante pour l’attirer là où il pouvait rencontrer Zobeïdeh. Non-seulement il n’éprouvait plus d’amour pour elle, mais il était aussi près de la haïr qu’un Turc peut être près de haïr une femme ; sa présence le mettait au supplice, et ce sentiment d’horreur, nous venons de le voir arriver à un tel degré, qu’il l’avait porté à rompre avec toutes ses habitudes pour se soustraire à l’épouvante que l’aspect seul de Zobeïdeh lui causait. Un Européen s’étonnera d’apprendre qu’un Turc se donne tant de peine pour échapper à une de ses femmes, à une recluse, à une prisonnière qu’il peut déposer au fond du Bosphore sans que personne lui en demande compte, ni lui en fasse de reproches ; mais ni les lois humaines ni les coutumes n’ont de puissance contre le caractère des peuples. Le Turc (je ne parle ici ni de l’Arabe, ni du Kurde, ni des autres populations musulmanes de l’Asie ou de l’Afrique), le Turc est doux, patient et grave. Donnez-lui le pouvoir le plus illimité sur des êtres faibles et désarmés, appliquez-vous à faire de lui un tyran, un despote : le premier cri de détresse ou de révolte lui fera tomber les armes des mains, et le livrera pieds et poings liés à la merci de ses esclaves, de ses victimes. Il n’en remplit pas moins bien quelquefois son rôle officiel de tyran ; cela lui arrive lorsqu’il ne gouverne que des femmes turques, qui ne sentent pas le poids de leur chaîne, ou qui manquent de force et d’énergie pour la secouer comme pour s’en plaindre. Heureusement, pour la juste rétribution des jouissances et des souffrances de l’humanité, les harems exclusivement peuplés de femmes turques, de pur sang turc, sont fort peu nombreux. Le