Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il aimait. La mort de Nafizé avait été si soudaine, causée par des accidens si simples et si connus, tout s’y était passé en sa présence et avec si peu de mystère, qu’Osman n’y avait pas reconnu la main terrible dont il avait tant de fois ressenti les coups ; mais le dépérissement sans motif apparent, la langueur et la mort d’Ibrahima réveillèrent son effroi superstitieux. Il se vit de nouveau condamné à voir disparaître tout ce qu’il aimait ; la mort même de Nafizé cessa de lui sembler naturelle. Il se rappela le regard terrible que Zobeïdeh avait fixé sur lui lorsqu’il lui reprochait ses mauvais procédés envers Ibrahima, et une sorte d’illumination intérieure lui montra la Circassienne telle qu’elle était réellement, armée tantôt du poignard qui avait frappé Ombrelle, tantôt du poison qui avait dévoré Ada, Nafizé et Ibrahima. Ces visions le troublaient pendant la nuit ; plus d’une fois il se crut près de devenir fou, et il comprit que, pour échapper à des tortures qui mettaient sa raison en péril, il ne lui restait que la fuite. Il n’eut plus alors d’autre pensée que de s’éloigner, au moins pour quelque temps, de cette maison funèbre, de cette épouse aux regards sinistres, de ce pays même dont l’air lui semblait mortel. Tantôt il raisonnait froidement ; il se rappelait une vieille légende turque, l’histoire d’une famille dont tous les membres succombaient victimes d’un mal inconnu. Enfin le dernier survivant, déjà fort malade, découvrait un oracle qui menaçait de mort toute la famille aussi longtemps que certain puits demeurerait ouvert. On s’était hâté de fermer ce puits malencontreux, et le mourant, étant revenu à la vie, avait mis au monde une postérité aussi nombreuse que bien portante. D’autres fois il était saisi d’un tremblement nerveux, entendait des voix qui ne parlaient que pour lui, apercevait des fantômes qu’il craignait de nommer. Zobeïdeh ne comprenait rien à l’état du malheureux bey ; elle le poursuivait de ses soins, de sa tendresse, affectant la douceur de l’agneau et la candeur de la colombe. Efforts inutiles ! Osman s’éloignait d’elle avec effroi, ou ne l’écoutait qu’avec une morne stupeur.

Le bey confia son désir de quitter Constantinople au grand pacha père d’Ibrahima. Celui-ci, plus attaché à Osman que son premier protecteur, entra dans les vues de son gendre ; il lui fit obtenir une place de caïmacan dans une province reculée de l’Asie-Mineure ; il garda le secret sur cette nomination, comme Osman l’en avait prié. Puisque c’était surtout pour échapper à Zobeïdeh qu’Osman se décidait à quitter Stamboul, il est inutile d’ajouter qu’il ne songea pas à la prendre pour compagne dans son voyage. Ce fut même avec des précautions infinies qu’il lui annonça son départ. Il ne pouvait se flatter de partir avec Maléka à l’insu de Zobeïdeh ; mais il tremblait de se voir exposé à ses violences, à son désespoir, et surtout