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service assidu et la société amusante du nouvel employé de beaucoup préférable au service et à la société de cet affligé perpétuel dont la seule présence éveillait des idées de mort. Aussi ne lui offrit-il pas de reprendre sa place auprès de lui, et s’arrangea-t-il de façon à lui faire comprendre qu’elle était occupée. Osman ne prolongea pas sa visite, et se retira découragé.

Que lui restait-il ? L’ambition pouvait seule le distraire de l’amour, et la carrière où il avait espéré trouver l’oubli de ses infortunes domestiques se fermait devant lui. L’amour d’ailleurs, l’amour sérieux et profond, Osman pouvait-il encore le ressentir ? Il fallait à ce cœur malade le changement, la variété, l’inconnu. Il lui fallait des maîtresses, c’est-à-dire des femmes que l’on prend et que l’on quitte selon la fantaisie du moment. Une voix secrète disait à Osman que sa vie était perdue, et en quittant le capricieux pacha, il n’était plus soutenu contre l’abattement que par le dépit. Misérable et fragile appui ! Sa bonne étoile voulut qu’il rencontrât dans la rue un ami de sa famille, celui-là même qui l’avait ramené chez son ancien protecteur lorsque ses premiers malheurs domestiques et les conseils de Maléka avaient donné l’éveil à son ambition. L’ami remarqua aussitôt le changement survenu dans le maintien et dans l’aspect du bey, et il lui en demanda la cause avec empressement et intérêt. Osman était trop irrité pour ne pas être bavard ; aussi les deux amis s’assirent devant un café, se firent apporter des pipes, et s’adressèrent de mutuelles confidences. Celles de l’ami ne peuvent intéresser le lecteur, et celles d’Osman lui ont été faites dans le plus grand détail ; je me bornerai donc à lui communiquer l’avis ouvert par l’effendi, et auquel Osman se rangea sans difficulté. Osman ne pouvait ni renoncer à la carrière politique, ni prétendre y faire un pas sans protecteur ; il ne pouvait non plus oublier les femmes qu’il avait perdues qu’en les remplaçant au moins par un objet nouveau, et il était temps de faire un choix qui lui apportât non-seulement de l’agrément, mais des avantages. L’effendi connaissait des pachas de toutes les couleurs, et il était également bien vu des membres des partis les plus opposés. Il avait dîné la veille avec l’ennemi le plus acharné du premier protecteur d’Osman, et la conversation étant tombée précisément sur le bey, le pacha s’était étendu sur le mérite d’Osman et sur le bonheur qu’avait son rival de posséder un semblable serviteur. Il avait ajouté que de pareilles bonnes fortunes ne tombaient jamais que sur des hommes incapables de les apprécier, par conséquent indignes de les garder. L’effendi proposa donc à Osman de le conduire sans délai chez ce nouveau patron. Il se repentait, disait-il, de n’avoir pas mieux arrangé ses affaires lorsqu’il l’avait amené chez le maître de Nafizé. Il n’aurait pas dû lui laisser épouser