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et dont toute l’existence reposait sur sa volonté. Il en était autrement de Nafizé : avant de connaître Osman, celle-ci existait avec tous ses charmes et dans la position que ses charmes lui avaient faite. Elle était venue volontairement à lui, elle avait associé son existence à la sienne, et si elle conservait avec lui l’humilité de manières commandée à la femme musulmane par l’étiquette et par la loi, Osman ne pouvait pas oublier que, dans le contrat de mariage dicté par le pacha, les intérêts de Nafizé avaient été sauvegardés contre tous les accidens de l’avenir, tels que l’inconstance du mari, le mécontentement de la femme, l’incompatibilité des humeurs, etc. Osman n’ignorait pas d’ailleurs que si Nafizé avait quitté le harem de son protecteur en qualité de fille même du pacha, ce n’était pas sous ce titre qu’elle y avait vécu, et il se disait que le jour où elle regretterait de lui appartenir serait pour lui au moins aussi coûteux que pénible ; mais cette contrainte, ces inquiétudes, qui ne laissaient pas de le préoccuper, ajoutaient encore aux séductions de Nafizé l’incertitude sur la durée du bonheur présent et la crainte de le perdre un jour par sa propre faute ou autrement. Quelques années plus tard, ces doutes et la contrainte qu’ils lui imposaient l’eussent rebuté, et Osman fût aussitôt retourné à ses esclaves, auxquelles il était sûr de plaire, tout en s’abandonnant au laisser aller le plus complet. Alors le bey était jeune : la nouveauté même de cette situation le charmait, et il prit de bonne grâce avec Nafizé le ton d’un amant, oubliant tout à fait le langage du maître, qu’il réservait exclusivement pour Zobeïdeh et Maléka. Nafizé suivit son exemple, et, tout en gardant envers ses doyennes d’âge et de position l’attitude la plus convenable, elle ne laissait pas échapper une occasion de leur faire sentir la supériorité de ses charmes et de son mérite, et le secret mépris qu’elles lui inspiraient. Nafizé était fort adroite ; les coups qu’elle lançait à ses rivales portaient tous et causaient de mortelles blessures. Zobeïdeh s’était juré à elle-même de tout souffrir sans montrer de ressentiment, et de se venger lorsque la patience ne serait plus possible. Hélas ! le crime avait laissé dans son cœur des traces profondes, la pensée du meurtre lui était devenue familière. Maléka n’exerçait plus qu’un faible empire sur cette âme obscurcie, et ce reste d’influence qu’elle eût pu conserver ou même accroître, elle ne se sentait plus la force d’en faire usage depuis le moment fatal qui lui avait tout appris. Ces deux femmes s’aimaient encore, si l’on peut donner le nom d’amitié à ce penchant involontaire que Zobeïdeh avait toujours éprouvé pour Maléka, et à ce mélange de pitié, d’horreur et de crainte qu’elle lui inspirait. Ces sentimens, quels qu’ils fussent, existaient toujours ; mais ni l’une ni l’autre n’osait plus les avouer. Maléka avait sans cesse présente l’image de la pauvre Ombrelle, telle