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absolu de vanité est quelque chose de fort aimable, et la vieille épouse de mon pacha partagea sans doute cet avis.

Ce fut précisément à la suite de cet entretien que le pacha découvrit le seul remède propre à triompher de la mélancolie d’Osman. Il en parla aussitôt à Osman lui-même, et la journée n’était pas terminée que la belle esclave était devenue, à la satisfaction générale, la fiancée du jeune bey. Nafizé la Géorgienne passait du harem d’un pacha à celui d’un dignitaire de second ordre ; mais elle montait aussi du rang d’esclave à celui d’épouse et de maîtresse. Le pacha se félicitait d’avoir rétabli la paix sous son toit ; la grande madame (c’est ainsi qu’on désigne l’épouse en titre) se voyait débarrassée d’un démon qui était à la fois sa rivale et son ennemie, et Osman, qui avait pris sa propre famille en aversion, se sentait renaître à cette vie d’amour facile qui lui convenait si fort.

Le pacha fit bien les choses, et sa femme l’y aida généreusement. Nafizé fut livrée à Osman comme la fille adoptive de son protecteur, titre qui lui assurait un rang convenable parmi les autres femmes du nouvel époux. Elle arriva dans la demeure du bey précédée et suivie de meubles, d’étoffes, de bijoux dignes de la position qui lui était faite, et en contemplant tant de beauté unie à tant de richesse et de grandeur, Maléka crut le règne de Zobeïdeh à jamais terminé. Zobeïdeh, de son côté, s’abandonna d’abord à un violent désespoir, qu’elle parvint pourtant à cacher à son époux, aidée en cela par cet époux même, qui, à dire vrai, ne l’observa pas de trop près. Il était alors dans tout l’enivrement d’une aveugle passion. Jamais beauté si parfaite, si éblouissante, si gracieuse et si piquante n’avait resplendi sur sa vie. Nafizé était une vraie Géorgienne. Rien ne lui manquait de ce qui distingue cette belle race caucasienne de toutes les autres qui en descendent à travers mille croisemens : ni la majesté de la taille, ni la richesse des formes, ni l’abondance d’une chevelure lustrée, ni la fraîcheur éblouissante du teint, ni l’antique harmonie des traits. Nafizé cependant possédait mieux que sa beauté : elle avait des talens acquis, l’intelligence du parti qu’elle pourrait tirer de ses avantages, et ces habitudes d’élégance, de luxe et de politesse que l’on acquiert d’ordinaire dans le commerce des grands. Osman n’avait aimé ni connu jusque-là que des esclaves ; Zobeïdeh elle-même et Maléka avaient été achetées pour lui par sa mère. C’est lui qui leur distribuait le bien-être, l’autorité et la considération, et dans ces femmes pour ainsi dire créées par son bon plaisir, Osman n’avait jamais reconnu des êtres semblables à lui, ayant une existence propre ni le droit d’en avoir une ; jamais il n’avait senti l’opportunité de se contraindre pour plaire à des êtres qui n’étaient tout au plus qu’un reflet de sa propre personne,