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dont il eût fallu épouser la mère. C’était là un véritable danger, mais y a-t-il un point sur ce globe où il soit possible de satisfaire toutes ses passions sans courir aucun risque ? D’ailleurs notre pacha avait eu tant de concubines qui ne lui avaient jamais donné d’enfans, qu’il s’était accoutumé à confondre les idées de concubinage et de stérilité, s’étonnant seulement de la nombreuse postérité de ses amis et de ses parens. Cette fois encore le prophète lui vint en aide ; mais d’autres inconvéniens se présentèrent pour la première fois dans ce harem, jusqu’alors si paisible et si joyeux. La discorde, les orages, les cris, les pleurs, les combats même, firent irruption. Tous les efforts du pacha pour rétablir la paix et l’harmonie entre ses bien-aimées échouèrent, et sa légitime épouse finit par lui mettre le marché à la main. Elle lui laissait le choix entre sa Géorgienne ou elle-même, accompagnée d’autant de concubines qu’il lui plairait d’en avoir, moins celle-là.

Le pacha fut d’abord tenté de s’en tenir au premier lot, car il était légèrement fatigué de sa longue constance, et la Géorgienne lui plaisait fort ; mais il revint bientôt à de meilleurs sentimens. C’était un véritable Turc pur sang. Cette femme n’avait-elle pas vieilli à ses côtés ? Ses beaux enfans, dont il était si fier, de qui lui venaient-ils ? Que de joies et que de peines, que de fatigues et de dangers n’avait-elle pas partagés avec lui ! Sa vie tout entière sembla se dérouler devant ses yeux en un moment, et il sentit, non sans surprise, mais avec un secret plaisir, la force des liens qui l’attachaient à sa compagne. Il ne céda pas entièrement, mais il s’engageait à corriger l’humeur de la Géorgienne ou à s’en débarrasser, et l’épouse prudente, qui connaissait l’indomptable orgueil de sa rivale, parut à peu près satisfaite. Aux reproches que lui adressa le pacha, l’orgueilleuse favorite répondit par une proposition analogue, quant au fond du moins, à celle de la légitime épouse : — Elle ou moi. — Au grand ébahissement de la Géorgienne, l’excellent pacha répondit tout simplement qu’ainsi pressé, il choisirait sa vieille compagne, et qu’il n’empoisonnerait pas la fin d’une existence qui s’était écoulée tout entière sous la protection de son amour. La Géorgienne éleva jusqu’aux nues la grandeur de pareils sentimens ; elle déplora ironiquement son importune jeunesse, qui ne lui permettait pas de conserver la faveur du pacha, et se montra disposée à chercher fortune ailleurs, pourvu que son excellence voulût bien la vendre à un maître plus indulgent pour ses pauvres dix-sept ans. Je connais plus d’un Occidental qui eût fait payer plus ou moins cher à sa vieille épouse le tort de lui avoir attiré ce langage ; mais n’ai-je pas dit bien des fois que les Turcs sont les moins vaniteux, de tous les hommes ? Que l’on me permette de répéter que ce défaut