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Osman ne demandait pas mieux. Raconter nos malheurs au moment où nous commençons à ne plus les sentir, c’est une manière agréable entre toutes de prendre congé de notre mélancolie. Osman raconta donc, mais en peu de mots (car les Orientaux n’entretiennent guère les étrangers de leurs affaires de famille), comment la fatalité s’était appesantie sur sa maison ; il passa sous silence l’épisode d’Oswald, et il eut le talent d’arriver à la fin de son récit en paraissant moins ému que son auditeur.

À partir de ce jour, la maison du pacha devint la maison d’Osman ; sa santé fut bientôt rétablie. Le bey ne parut plus qu’à de longs intervalles dans son propre harem. Maléka se félicitait de le voir rendu à une existence qu’elle jugeait préférable pour lui à celle qu’il avait menée jusque-là. Zobeïdeh n’osait pas s’en plaindre, puisque Osman paraissait heureux.

La protection du pacha ne se borna pas à de bonnes, mais vaines paroles. Chargé de l’administration de l’une des branches de l’industrie nationale, ce fonctionnaire remplissait sa tâche à l’aide d’un conseil ou divan dont les membres étaient nommés par le chef de l’état. Il pouvait créer autant de secrétaires qu’il le voulait, pourvu qu’il trouvât le moyen de les rétribuer sans grossir le budget officiel de son administration. Notre bey, qui n’avait pas besoin de gros émolumens, accepta une place de secrétaire du divan moyennant laquelle il se trouvait chargé de certaines missions de surveillance et d’inspection qui pouvaient lui rapporter plus d’argent qu’il ne se souciait d’en gagner. Ce n’était d’ailleurs qu’une pierre d’attente, car le pacha lui avait promis de le faire nommer à la première place de caïmacan qui deviendrait vacante dans l’un des sandjiaks dépendant d’un pacha de ses amis.

Mais ce n’est pas tout encore. L’excellent homme possédait assez de sagacité et beaucoup d’expérience. Il ne tarda pas à découvrir que la bonne humeur d’Osman se voilait chaque fois qu’il était question de son intérieur. — Il a perdu deux femmes qu’il aimait, se dit-il ; le bey ne sera complètement consolé que par une troisième. — Et là-dessus le haut fonctionnaire se mit à réfléchir. Son pourvoyeur, son kiajix lui avait acheté quelques mois auparavant une magnifique Géorgienne d’une beauté vraiment incomparable. Il ne possédait qu’une seule femme légitime, maîtresse femme s’il en fut, qui fermait toujours les yeux sur les amourettes passagères de son époux, à la condition qu’il ne lui donnerait pas de rivale sérieuse, c’est-à-dire de moitié. À la vue de sa splendide acquisition, le pacha s’était donc préparé à en jouir paisiblement jusqu’au jour où son caprice se porterait ailleurs, se bornant à prier le prophète de ne pas lui envoyer par l’intermédiaire de sa concubine un enfant mâle